Stanislas de Boufflers
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c'est le cas de cette biographie de
Dictionnaire critique de Biographie et d'histoire, Errata et supplément pour tous les dictionnaires historiques d'après des documents authentiques inédits par A.Jal, Paris, Henri Plon, imprimeur-éditeur, rue Garancière, 10, 1867, pages 260-262.
Voltaire écrivait de Fernei le 15 janvier 1766 à M. Dupont : « Nous avons à Fernei un de vos compatriotes; c'est M. le chevalier de Boufflers, un des plus aimables enfants de ce monde, tout plein d'esprit et de talent ».
Le 21 janvier de la même année, il écrivait au maréchal de Richelieu : « Le chevalier de Boufflers est une des singulières créatures qui soient au monde. Il peint au pastel fort joliment. Tantôt il monte à cheval tout seul à cinq heures du matin et s'en va peindre les femmes à Lausanne, etc. » (ici je suis obligé par la décence d'altérer un peu le texte du patriarche.) « Il enjôle ses modèles; de là il va en faire autant à Genève, et de là il revient chez moi se reposer » (encore un achoppement ! ) « de ses travaux de peintre, avec des huguenotes ». Voltaire avait pris, pour parler de son hôte, le ton de Boufflers lui-même. Dans celle même année 1766, le chevalier ayant envoyé à Voltaire sa petite pièce célèbre, intitulée le Cœur, badinage libertin, équivoque spirituelle qui devait plaire beaucoup à l'auteur de Candide, celui-ci adressa au poète les stances fort connues qui commencent par ce vers :
Je disais à l'instant que le chevalier de Boufflers avait trente ans en 1768 : il était né, en effet, en 1738. Les biographes sont d'accord — et comment ne le seraient-ils pas, se copiant l'un l'autre? — sur ce double fait que Stanislas (Jean) de Boufflers naquit à Lunéville en 1737. Double erreur que je viens rectifier. Boufflers naquit en 1738, à Nancy, comme l'atteste l'acte de naissance et de baptême que l'on va lire. Il me fut communiqué le 12 septembre 1864 , par l'archiviste de la mairie de Lunéville : « Stanislas-Jean, fils légitime de ht et puist seigr Messire Louis-François, marquis de Boufflers, capitaine de dragons pour le service de Sa Majesté très-chrétienne et de hte et pte dame Madame Marie-Catherine de Beauvau-Craon, son épouse, étant né à Nancy, le 31 mai 1738, fut baptisé » (ondoyé) « le lendemain dans la paroisse de Saiut-Roch » ( une petite paroisse qui n'existe plus et que n'a point nommée Bruzen de la Martinière dans l'art. Nancy de son Dictionnaire géographique, où il nomme seulement trois paroisses : Saint-Evre, Notre-Dame et Saint-Sébastien). « Les cérémonies ayant été différées par ordre de Mgr l'Evéque, ont été supplées le 21 juin de la même année, dans la chapelle du Roi; il a eu pour parrain et marraine Leurs Majestés le Roi et la Reine, qui ont signé avec moi
(signé) Stanislas Roy, Catherine, Cl Verlet c. R. curé de Lunéville ».
Voilà qui ne laisse pas de doute sur le temps et le lieu de la naissance Boufflers, dont un frère, Charles-Marc-Jean-François-Régis avait été baptisé à Lunéville le 21 juin 1736 .
Madame la marquise de Boufflers, Marie-Catherine de Beauvau-Craon, et non de Beauvais-Craon, comme une faute d'impression l'a fait dire à M. Bouillet, était une femme belle et spirituelle qui faisait l'ornement de la petite cour du Roi de Pologne. Voltaire qui « respectait infiniment » le chevalier de Boufflers, avait peu de respect pour sa mère ; il dit crûment qu'elle était la maîtresse du vieux Roi et qu'elle le gouvernait. Ce n'était pas très-poli, c'était peut-être vrai ; mais cette vérité ne dut pas être fort agréable au chevalier, quand elle fut publiée par Voltaire, bien que les mœurs du temps rendissent sans conséquence ces écarts de vertu que se permettaient les grandes dames et, à leur exemple, bon nombre de bourgeoises, marchandes, procureuses, présidentes et comédiennes.
St.-J. de Boufflers fut destiné de bonne heure à l'état ecclésiastique. C'était une carrière pour les cadets de bonnes maisons. Il n'y avait pas eu de chapeau rouge dans la maison de Boufflers, mais rien n'empêchait qu'il n'y en eût un. Il y aurait au moins, pour le descendant d'un maréchal de France, de bons bénéfices et quelque gros archevêché. Le jeune homme entra donc au séminaire et fit ses études à Saint-Sulpice. Le monde qu'il voyait dans ses jours de congé était frivole et libertin, et comme les choses sérieuses n'étaient point pour lui plaire, il reçut de ses fréquentations des impressions qui développèrent en lui le goût d'une littérature qui avait fait un nom, dans les ruelles, à Bernis, abbé et membre de l'Académie française. Il referma, pour ne les plus rouvrir, la Somme de saint Thomas et la Cité de Dieu de saint Augustin, et ouvrit, pour ne plus les fermer, les historiettes grivoises de La Fontaine et de Vergier. Ce furent ses derniers rudiments. Il avait encore l'habit des Sulpiciens, lorsqu'à l'âge de vingt-trois ans (1761) il composa et fit connaître son conte d'Aline, reine de Golconde, qui eut d'abord un succès d'étonnement, et qui fit vite son chemin dans les cercles de la belle société. Bien que le Clergé ne fût guère austère, il y eut une certaine révolte contre la faveur accordée à ce petit ouvrage qu'avouait un jeune lévite ; la pudeur se mêla de l'affaire, et l'on décida que M. de Boufflers devait renoncer à la muse libertine ou à l'étude des canons de l'Église. Stanislas-Jean se rendit sans peine aux conséquences de ce dilemme; son choix fut promptement fait. Échanger la vie du futur prêtre contre celle de l'homme des ruelles, poète et galant, c'était tout ce qu'il souhaitait; mais il avait un bon bénéfice dont les revenus devaient l'aider à faire une certaine figure; il ne pouvait se décider à y renoncer.
Il y avait un moyen de concilier le bénéfice ecclésiastique avec la vie du gentilhomme mondain, c'était d'entrer dans l'ordre de Malte. L'ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem était à la fois religieux et militaire, plus militaire que religieux. A ce moment il était fort dégénéré de son ancienne gloire et de son ancienne sévérité. Les chevaliers de Rhodes n'avaient pas été de bien saints personnages, mais ils avaient eu de beaux jours de combat et de grandes luttes contre les barbaresques. Le temps des Barberousse était passé et aussi celui des illustres capitaines des galères de la Religion. De temps eu temps, quelques rencontres avec les corsaires des régences apprenaient aux chrétiens qu'il y avait encore des galères à Malte, mais c'était tout. Il n'y avait pas beaucoup de renommée à acquérir dans la sainte milice, sur mer au moins, mais le titre de Chevalier était bien venu dans les salons de Versailles et de Paris; Boufflers le prit donc. Il jeta aux orties la soutane noire et prit la soubreveste rouge à croix blanche des profès de l'ordre de Malte; il quitta le goupillon pour l'épée et surtout pour la plume.
Le coup de théâtre réussit. Je ne sais si Boufflers fit ses caravanes sur les galères du Grand maître ; je n'ai rien trouvé qui ait pu me l'apprendre. La mer, au reste, n'était point le champ où le jeune chevalier voulait faire ses preuves; il prit parti dans l'armée de terre. Quelques chevaliers faisaient le pèlerinage de Jérusalem; Boufflers fit celui de Fernei ; il alla visiter celui qui disposait de la gloire, et l'on a vu que « le vieillard cacochyme » ne fut point en reste avec le jeune versificateur, « peintre en pastel » qui, en prenant la croix de Saint-Jean, avait fait vœu de célibat, mais non pas celui de chasteté. Colonel à trente-quatre ans, il fut fait maréchal des camps à quarante-six , le 1er janvier 1784.
Sa fortune de poète était faite depuis longtemps, sa fortune de gentilhomme diminuait de jour en jour. Des vers faciles, spirituels, aimables, élégants, coquets, libres et délicats dans leur licence, avaient fait l'une; le plaisir, l'amour de la dépense , le désir de paraître, l'insouciance avaient défait l'autre assez rapidement. Une jolie figure, de la grâce, de bonnes manières, enrichissaient quelquefois un cavalier; ils causaient quelquefois des ruines. Boufflers était généreux et ne se croyait point quitte envers les femmes, objets de ses hommages, parce qu'il était aussi beau qu'elles étaient jolies. Les choses en étaient là pour le chevalier, dit-on, lorsqu'il fut nommé officier général. Un commandement militaire, un gouvernement de ville ou de province lui était nécessaire pour fournir aux besoins qu'il s'était créés ; mais un gouvernement de ville ou un commandement le laissait à Paris, les commandants et les gouverneurs n'étant pas plus sujets à résidence que les prélats ; il fallait donc trouver un poste hors de France et assez loin pour que l'envie de revenir à la cour ou à Paris ne pût être satisfaite aisément . Le gouvernement du Sénégal devint vacant, Boufflers le demanda. Le Roi le lui accorda, et il fut désigné pour cette charge importante le 9 octobre 1783.
Qu'allait devenir dans sa résidence de Gorée le brillant chevalier qui était encore dans la fleur de sa seconde jeunesse ! C'est ce que tout le monde dut se demander. Il prit résolument son parti. Il y avait de jolies femmes de couleur dans l'île, quelques devoirs sérieux à remplir, un reste de verve poétique dans son cerveau ; il fit ses adieux pour un temps a tout ce qui l'avait attaché en France, à tout ce qui l'avait ruiné, et, au mois de décembre 1785, monta sur un des vaisseaux du Roi et fit voile pour la côte de Sénégambie. Quand il vit fuir derrière lui le port et le rivage français, il ne s'écria point comme la pauvre reine d'Écosse :
II arriva au Sénégal le 15 janvier 1786, s'y installa et prit à cœur son nouveau métier, en homme pourtant qui mêlait les distractions aux affaires sérieuses. Il se fit aimer beaucoup, il aima beaucoup aussi, fit avec les signares (les femmes du pays) ce qu'il avait fait avec « les huguenotes de Genève et de Lausanne » ; seulement on ne dit pas qu'il les ait jamais peintes au pastel.
Dans les premières années de la Restauration, de mes camarades de promotion dans la marine étant allés à Gorée, trouvèrent de vieilles signares qui montraient avec orgueil des enfants qu'elles devaient aux bontés du gouverneur.
Le chevalier resta d'abord six mois entiers dans ce petit paradis que s'était fait sa résignation, mais au mois d'août, appelé à Versailles par le ministre, il alla revoir ses amis et se retrempa un peu aux eaux de ce fleuve des plaisirs où il avait plongé sa jeunesse. Le maréchal de Castries le retint longtemps pour lui donner ses instructions, et, à la fin, le renvoya. C'était au mois de janvier 1787. Le 20 février, il rentrait dans le palais de son gouvernement. Il y resta jusqu'au 20 novembre, non sans avoir visité certains points de la côte et sans ravoir donné quelques soins aux affaires de la colonie. Son esprit étant ouvert à tout, à ses moments perdus il travailla au bien du pays et s'arrangea de manière a laisser de bons souvenirs de son passage sur cette terre, où l'on traitait des noirs, de la gomme, de l'ivoire et de la poudre d'or. Le 25 décembre 1787, la corvette le Rossignol mouillait aux rades de la Rochelle et débarquait M. le gouverneur du Sénégal. Gouverneur, le chevalier de Boufflers en eut le titre jusqu'au mois d'octobre 1791. Alors il cessa de toucher le traitement attaché à cette fonction (2 400 l. !) En 1788, une place étant devenue vacante à l'Académie française, Boufflers la sollicita et l'obtint.
1789 le vit député aux États généraux, où il n'eut qu'un rôle fort secondaire. Quand, ayant quitté le gouvernement du Sénégal, on lui demanda des avis pour la direction des affaires de la colonie, il ne refusa pas de communiquer au ministre ce que son expérience lui avait appris. Il recommanda fort un homme qui l'avait secondé et signa sa lettre : « Boufflers », le temps n'étant plus où il pouvait signer, comme autrefois : « le ch. de Boufflers ». (Arch. de la mar.) Le train dont marchaient les événements faisait prévoir à Boufflers, comme à tout le monde, une terrible catastrophe. Il ne fut pas des premiers à émigrer, mais il ne fut pas des derniers ; il passa la frontière et alla attendre à l'étranger la fin de la tourmente. Ou lui a reproché sa prudence, étrange reproche ! Qui donc alors était d'humeur à tendre
Il revint quand la France fut rouverte à ceux qui l'avaient quittée. Lorsque le pouvoir de Napoléon s'établit, Boufflers ne lui refusa point ses hommages; on lui en a fait un crime. Il était reconnaissant, comme la plupart des citoyens qui revoyaient la patrie qu'ils avaient pu croire perdue pour eux, et qui trouvaient le calme où ils avaient laissé la tempête. Le marin que l'ouragan a menacé de mort, s'il aborde au rivage , grâce à un vent doux et favorable , va se jeter au pied de l'autel pour remercier Dieu ; qui songe à le lui reprocher?
Boufflers vit le trône des Bourbons restauré ; il prit le titre de Marquis qu'il n'avait pu prendre sous l'Empire, la noblesse impériale n'admettant ni les marquis, ni les vicomtes; il n'insulta point le souverain déchu, ce que firent tant d'ingrats, et acheva doucement sa longue vie le 18 janvier 1815.
Voici l'acte qui fut inscrit au registre de la première mairie de Paris : « Du 19 janvier mil huit cent quinze à midi. Acte de décès de monsieur Stanislas-Jean, marquis de Boufflers , ancien maréchal des camps et armées du Roi, chevalr de l'ordre roy. et milit. de Saint-Louis et de la Légion d'honneur, membre de l'Académie française, décédé hier, en son hôtel, rue du Faubourg-St-Honoré, n° 114, à quatre heures du matin, âgé de soixante-dix-sept ans, marié à dame Françoise-Eléonore Dejean de Mauville. (Signé) Le cte Elzéar de Sabran, Bertscher » (homme de lettres?), « Rendu ».
Je n'ai pu trouver l'acte du mariage du chevalier de Boufflers qui ne fut point enregistré à Paris. Le pape l'avait apparemment relevé de ses vœux ; et il avait quitté l'ordre de Malte pour se marier. Boufflers eut un fils que tout le monde a connu, la figure rouge, la voix forte et rauque, l'air idiot, parlant tout seul et tout haut, et poursuivi par les enfants de la ville qui se plaisaient à le tourmenter; triste spectacle assurément, un tel fils à un tel père!...
Le 21 janvier de la même année, il écrivait au maréchal de Richelieu : « Le chevalier de Boufflers est une des singulières créatures qui soient au monde. Il peint au pastel fort joliment. Tantôt il monte à cheval tout seul à cinq heures du matin et s'en va peindre les femmes à Lausanne, etc. » (ici je suis obligé par la décence d'altérer un peu le texte du patriarche.) « Il enjôle ses modèles; de là il va en faire autant à Genève, et de là il revient chez moi se reposer » (encore un achoppement ! ) « de ses travaux de peintre, avec des huguenotes ». Voltaire avait pris, pour parler de son hôte, le ton de Boufflers lui-même. Dans celle même année 1766, le chevalier ayant envoyé à Voltaire sa petite pièce célèbre, intitulée le Cœur, badinage libertin, équivoque spirituelle qui devait plaire beaucoup à l'auteur de Candide, celui-ci adressa au poète les stances fort connues qui commencent par ce vers :
« Certaine dame honnête et savante et profonde... »
Puis une épître où se trouvent ces lignes laudatives :« C'est à vous, ô jeune Boufflers,
A vous dont notre Suisse admire
Le crayon , la prose et les vers,
El les petits contes pour rire, etc. »
Cette affection qu'avait Voltaire pour le chevalier ne s'était pas encore démentie en 1768 — je ne sais si elle s'affaiblit plus tard. — En 1768, le solitaire de Fernei écrivait au chevalier un billet en prose et en vers qui finissait par ces mots : « La Suisse est émerveillée de vous ; Fernei pleure votre absence, et le bonhomme » (c'est Voltaire lui-même, s'il vous plaît) « vous regrette, vous aime, vous respecte infiniment ». Cette effusion de tendresse a quelque chose de merveilleux chez un homme qui n'aimait guère et qui respectait encore moins. Qu'il regrettât Boufflers dont l'esprit l'avait amusé, qu'il dît qu'il l'aimait, passe, mais qu'à cela il ajoute ce « je vous respecte infiniment », c'est à n'y pas croire. Boufflers n'avait que trente ans et Voltaire en avait soixante quatorze ; mais Boufflers était d'une fort bonne maison, et le philosophe n'était pas insensible à cette considération.Je disais à l'instant que le chevalier de Boufflers avait trente ans en 1768 : il était né, en effet, en 1738. Les biographes sont d'accord — et comment ne le seraient-ils pas, se copiant l'un l'autre? — sur ce double fait que Stanislas (Jean) de Boufflers naquit à Lunéville en 1737. Double erreur que je viens rectifier. Boufflers naquit en 1738, à Nancy, comme l'atteste l'acte de naissance et de baptême que l'on va lire. Il me fut communiqué le 12 septembre 1864 , par l'archiviste de la mairie de Lunéville : « Stanislas-Jean, fils légitime de ht et puist seigr Messire Louis-François, marquis de Boufflers, capitaine de dragons pour le service de Sa Majesté très-chrétienne et de hte et pte dame Madame Marie-Catherine de Beauvau-Craon, son épouse, étant né à Nancy, le 31 mai 1738, fut baptisé » (ondoyé) « le lendemain dans la paroisse de Saiut-Roch » ( une petite paroisse qui n'existe plus et que n'a point nommée Bruzen de la Martinière dans l'art. Nancy de son Dictionnaire géographique, où il nomme seulement trois paroisses : Saint-Evre, Notre-Dame et Saint-Sébastien). « Les cérémonies ayant été différées par ordre de Mgr l'Evéque, ont été supplées le 21 juin de la même année, dans la chapelle du Roi; il a eu pour parrain et marraine Leurs Majestés le Roi et la Reine, qui ont signé avec moi
(signé) Stanislas Roy, Catherine, Cl Verlet c. R. curé de Lunéville ».
Voilà qui ne laisse pas de doute sur le temps et le lieu de la naissance Boufflers, dont un frère, Charles-Marc-Jean-François-Régis avait été baptisé à Lunéville le 21 juin 1736 .
Madame la marquise de Boufflers, Marie-Catherine de Beauvau-Craon, et non de Beauvais-Craon, comme une faute d'impression l'a fait dire à M. Bouillet, était une femme belle et spirituelle qui faisait l'ornement de la petite cour du Roi de Pologne. Voltaire qui « respectait infiniment » le chevalier de Boufflers, avait peu de respect pour sa mère ; il dit crûment qu'elle était la maîtresse du vieux Roi et qu'elle le gouvernait. Ce n'était pas très-poli, c'était peut-être vrai ; mais cette vérité ne dut pas être fort agréable au chevalier, quand elle fut publiée par Voltaire, bien que les mœurs du temps rendissent sans conséquence ces écarts de vertu que se permettaient les grandes dames et, à leur exemple, bon nombre de bourgeoises, marchandes, procureuses, présidentes et comédiennes.
St.-J. de Boufflers fut destiné de bonne heure à l'état ecclésiastique. C'était une carrière pour les cadets de bonnes maisons. Il n'y avait pas eu de chapeau rouge dans la maison de Boufflers, mais rien n'empêchait qu'il n'y en eût un. Il y aurait au moins, pour le descendant d'un maréchal de France, de bons bénéfices et quelque gros archevêché. Le jeune homme entra donc au séminaire et fit ses études à Saint-Sulpice. Le monde qu'il voyait dans ses jours de congé était frivole et libertin, et comme les choses sérieuses n'étaient point pour lui plaire, il reçut de ses fréquentations des impressions qui développèrent en lui le goût d'une littérature qui avait fait un nom, dans les ruelles, à Bernis, abbé et membre de l'Académie française. Il referma, pour ne les plus rouvrir, la Somme de saint Thomas et la Cité de Dieu de saint Augustin, et ouvrit, pour ne plus les fermer, les historiettes grivoises de La Fontaine et de Vergier. Ce furent ses derniers rudiments. Il avait encore l'habit des Sulpiciens, lorsqu'à l'âge de vingt-trois ans (1761) il composa et fit connaître son conte d'Aline, reine de Golconde, qui eut d'abord un succès d'étonnement, et qui fit vite son chemin dans les cercles de la belle société. Bien que le Clergé ne fût guère austère, il y eut une certaine révolte contre la faveur accordée à ce petit ouvrage qu'avouait un jeune lévite ; la pudeur se mêla de l'affaire, et l'on décida que M. de Boufflers devait renoncer à la muse libertine ou à l'étude des canons de l'Église. Stanislas-Jean se rendit sans peine aux conséquences de ce dilemme; son choix fut promptement fait. Échanger la vie du futur prêtre contre celle de l'homme des ruelles, poète et galant, c'était tout ce qu'il souhaitait; mais il avait un bon bénéfice dont les revenus devaient l'aider à faire une certaine figure; il ne pouvait se décider à y renoncer.
Il y avait un moyen de concilier le bénéfice ecclésiastique avec la vie du gentilhomme mondain, c'était d'entrer dans l'ordre de Malte. L'ordre des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem était à la fois religieux et militaire, plus militaire que religieux. A ce moment il était fort dégénéré de son ancienne gloire et de son ancienne sévérité. Les chevaliers de Rhodes n'avaient pas été de bien saints personnages, mais ils avaient eu de beaux jours de combat et de grandes luttes contre les barbaresques. Le temps des Barberousse était passé et aussi celui des illustres capitaines des galères de la Religion. De temps eu temps, quelques rencontres avec les corsaires des régences apprenaient aux chrétiens qu'il y avait encore des galères à Malte, mais c'était tout. Il n'y avait pas beaucoup de renommée à acquérir dans la sainte milice, sur mer au moins, mais le titre de Chevalier était bien venu dans les salons de Versailles et de Paris; Boufflers le prit donc. Il jeta aux orties la soutane noire et prit la soubreveste rouge à croix blanche des profès de l'ordre de Malte; il quitta le goupillon pour l'épée et surtout pour la plume.
Le coup de théâtre réussit. Je ne sais si Boufflers fit ses caravanes sur les galères du Grand maître ; je n'ai rien trouvé qui ait pu me l'apprendre. La mer, au reste, n'était point le champ où le jeune chevalier voulait faire ses preuves; il prit parti dans l'armée de terre. Quelques chevaliers faisaient le pèlerinage de Jérusalem; Boufflers fit celui de Fernei ; il alla visiter celui qui disposait de la gloire, et l'on a vu que « le vieillard cacochyme » ne fut point en reste avec le jeune versificateur, « peintre en pastel » qui, en prenant la croix de Saint-Jean, avait fait vœu de célibat, mais non pas celui de chasteté. Colonel à trente-quatre ans, il fut fait maréchal des camps à quarante-six , le 1er janvier 1784.
Sa fortune de poète était faite depuis longtemps, sa fortune de gentilhomme diminuait de jour en jour. Des vers faciles, spirituels, aimables, élégants, coquets, libres et délicats dans leur licence, avaient fait l'une; le plaisir, l'amour de la dépense , le désir de paraître, l'insouciance avaient défait l'autre assez rapidement. Une jolie figure, de la grâce, de bonnes manières, enrichissaient quelquefois un cavalier; ils causaient quelquefois des ruines. Boufflers était généreux et ne se croyait point quitte envers les femmes, objets de ses hommages, parce qu'il était aussi beau qu'elles étaient jolies. Les choses en étaient là pour le chevalier, dit-on, lorsqu'il fut nommé officier général. Un commandement militaire, un gouvernement de ville ou de province lui était nécessaire pour fournir aux besoins qu'il s'était créés ; mais un gouvernement de ville ou un commandement le laissait à Paris, les commandants et les gouverneurs n'étant pas plus sujets à résidence que les prélats ; il fallait donc trouver un poste hors de France et assez loin pour que l'envie de revenir à la cour ou à Paris ne pût être satisfaite aisément . Le gouvernement du Sénégal devint vacant, Boufflers le demanda. Le Roi le lui accorda, et il fut désigné pour cette charge importante le 9 octobre 1783.
Qu'allait devenir dans sa résidence de Gorée le brillant chevalier qui était encore dans la fleur de sa seconde jeunesse ! C'est ce que tout le monde dut se demander. Il prit résolument son parti. Il y avait de jolies femmes de couleur dans l'île, quelques devoirs sérieux à remplir, un reste de verve poétique dans son cerveau ; il fit ses adieux pour un temps a tout ce qui l'avait attaché en France, à tout ce qui l'avait ruiné, et, au mois de décembre 1785, monta sur un des vaisseaux du Roi et fit voile pour la côte de Sénégambie. Quand il vit fuir derrière lui le port et le rivage français, il ne s'écria point comme la pauvre reine d'Écosse :
« Adieu plaisant pays de France ! »
mais« à te revoir quand l'économie aura un peu renflé ma bourse ! »
II arriva au Sénégal le 15 janvier 1786, s'y installa et prit à cœur son nouveau métier, en homme pourtant qui mêlait les distractions aux affaires sérieuses. Il se fit aimer beaucoup, il aima beaucoup aussi, fit avec les signares (les femmes du pays) ce qu'il avait fait avec « les huguenotes de Genève et de Lausanne » ; seulement on ne dit pas qu'il les ait jamais peintes au pastel.
Dans les premières années de la Restauration, de mes camarades de promotion dans la marine étant allés à Gorée, trouvèrent de vieilles signares qui montraient avec orgueil des enfants qu'elles devaient aux bontés du gouverneur.
Le chevalier resta d'abord six mois entiers dans ce petit paradis que s'était fait sa résignation, mais au mois d'août, appelé à Versailles par le ministre, il alla revoir ses amis et se retrempa un peu aux eaux de ce fleuve des plaisirs où il avait plongé sa jeunesse. Le maréchal de Castries le retint longtemps pour lui donner ses instructions, et, à la fin, le renvoya. C'était au mois de janvier 1787. Le 20 février, il rentrait dans le palais de son gouvernement. Il y resta jusqu'au 20 novembre, non sans avoir visité certains points de la côte et sans ravoir donné quelques soins aux affaires de la colonie. Son esprit étant ouvert à tout, à ses moments perdus il travailla au bien du pays et s'arrangea de manière a laisser de bons souvenirs de son passage sur cette terre, où l'on traitait des noirs, de la gomme, de l'ivoire et de la poudre d'or. Le 25 décembre 1787, la corvette le Rossignol mouillait aux rades de la Rochelle et débarquait M. le gouverneur du Sénégal. Gouverneur, le chevalier de Boufflers en eut le titre jusqu'au mois d'octobre 1791. Alors il cessa de toucher le traitement attaché à cette fonction (2 400 l. !) En 1788, une place étant devenue vacante à l'Académie française, Boufflers la sollicita et l'obtint.
1789 le vit député aux États généraux, où il n'eut qu'un rôle fort secondaire. Quand, ayant quitté le gouvernement du Sénégal, on lui demanda des avis pour la direction des affaires de la colonie, il ne refusa pas de communiquer au ministre ce que son expérience lui avait appris. Il recommanda fort un homme qui l'avait secondé et signa sa lettre : « Boufflers », le temps n'étant plus où il pouvait signer, comme autrefois : « le ch. de Boufflers ». (Arch. de la mar.) Le train dont marchaient les événements faisait prévoir à Boufflers, comme à tout le monde, une terrible catastrophe. Il ne fut pas des premiers à émigrer, mais il ne fut pas des derniers ; il passa la frontière et alla attendre à l'étranger la fin de la tourmente. Ou lui a reproché sa prudence, étrange reproche ! Qui donc alors était d'humeur à tendre
Au couteau de Calchas une tête innocente?
Il revint quand la France fut rouverte à ceux qui l'avaient quittée. Lorsque le pouvoir de Napoléon s'établit, Boufflers ne lui refusa point ses hommages; on lui en a fait un crime. Il était reconnaissant, comme la plupart des citoyens qui revoyaient la patrie qu'ils avaient pu croire perdue pour eux, et qui trouvaient le calme où ils avaient laissé la tempête. Le marin que l'ouragan a menacé de mort, s'il aborde au rivage , grâce à un vent doux et favorable , va se jeter au pied de l'autel pour remercier Dieu ; qui songe à le lui reprocher?
Boufflers vit le trône des Bourbons restauré ; il prit le titre de Marquis qu'il n'avait pu prendre sous l'Empire, la noblesse impériale n'admettant ni les marquis, ni les vicomtes; il n'insulta point le souverain déchu, ce que firent tant d'ingrats, et acheva doucement sa longue vie le 18 janvier 1815.
Voici l'acte qui fut inscrit au registre de la première mairie de Paris : « Du 19 janvier mil huit cent quinze à midi. Acte de décès de monsieur Stanislas-Jean, marquis de Boufflers , ancien maréchal des camps et armées du Roi, chevalr de l'ordre roy. et milit. de Saint-Louis et de la Légion d'honneur, membre de l'Académie française, décédé hier, en son hôtel, rue du Faubourg-St-Honoré, n° 114, à quatre heures du matin, âgé de soixante-dix-sept ans, marié à dame Françoise-Eléonore Dejean de Mauville. (Signé) Le cte Elzéar de Sabran, Bertscher » (homme de lettres?), « Rendu ».
Je n'ai pu trouver l'acte du mariage du chevalier de Boufflers qui ne fut point enregistré à Paris. Le pape l'avait apparemment relevé de ses vœux ; et il avait quitté l'ordre de Malte pour se marier. Boufflers eut un fils que tout le monde a connu, la figure rouge, la voix forte et rauque, l'air idiot, parlant tout seul et tout haut, et poursuivi par les enfants de la ville qui se plaisaient à le tourmenter; triste spectacle assurément, un tel fils à un tel père!...
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