Ch. 16 - Des instruments - Instruments à cordes pincées


Chapitre XVI a
 

Des instruments.
Instruments à cordes pincées




     
Les instruments les plus anciens dont il soit fait mention dans l'histoire sont les instruments à cordes pincées, tels que les lyres, les cithares et les harpes. Les monuments de l'antiquité nous en offrent de nombreux modèles; mais les formes sont différentes et caractéristiques chez les divers peuples : ainsi les lyres et les cithares appartiennent particulièrement aux Grecs, aux habitants de l'Asie mineure et aux Romains ; la harpe semble être le partage des habitants de la haute Asie, de l’Égypte et du nord de l'Europe.
La fable, qui se mêle en tout à l'histoire des Grecs, attribue à Mercure (Hermès) l'invention de la lyre, qui n'eut originairement que trois cordes. Le nombre de ces cordes fut successivement augmenté, mais il ne fut jamais porté au-delà de sept, ce qui en faisait un instrument fort borné, puisqu'il n'avait point de manche, comme nos guitares, pour qu'on pût y modifier les intonations de ces sept cordes, lesquelles conséquemment ne pouvaient rendre que sept sons différents. Il résultait de là qu'un musicien ne pouvait changer de mode sans changer de lyre. Les variétés de la lyre se désignaient par les noms de cithare, de chèlys, et de phorminx. Ces instruments se pinçaient autrefois avec les doigts, mais plus souvent avec une espèce de crochet qu'on appelait plectre ce qui prouve qu'on ne faisait sonner qu'une corde à la fois.

L'origine de la harpe est environnée d'obscurité. On la trouve dans l'Inde, en Égypte, sur les monuments les plus antiques, chez les Hébreux, en Italie, chez un ancien peuple nommé Arpe, chez les Scandinaves et dans l'ancienne Angleterre, sans pouvoir découvrir si tous ces peuples l'avaient reçue par communication ou s'ils l'avaient inventée simultanément. L'usage de la harpe chez les anciens peuples de l'Inde et de l’Égypte fait présumer que les Grecs et les Romains en ont eu connaissance, et qu'ils s'en servaient ; mais le nom que nous lui donnons ne se rencontre chez aucun des écrivains de l'antiquité. On croit généralement que le trigone ou la sambuque n'était que cet instrument. Un savant commentateur des poésies de Callimaque a prouvé que tous les instruments à cordes obliques, tels que le nablum, le barbitos, le magade, le psalterium et la sambuque, dont il est parlé dans l’Écriture sainte et dans les écrits de l'antiquité, étaient du genre de la harpe et d'origine phénicienne, chaldaïque ou syrienne. A l'égard des Romains, on croit que l'instrument qu'ils nomment cinnara n'est autre chose que la harpe, et que ce nom n'est que la traduction de kynnor ou kinnar qui, dans le texte hébreu de l'Écriture sainte, désigne la harpe de David. Le nombre des cordes de la harpe antique était de treize dans l'origine ; mais ce nombre s'est successivement augmenté jusqu'à vingt, et même jusqu'à quarante. Ces cordes étaient faites de boyaux comme celles de nos harpes, ainsi qu'on le voit par une épigramme grecque de l'Anthologie. Les peuples de l'antiquité ne paraissent pas avoir eu connaissance des cordes d'acier ni de laiton ; mais plusieurs auteurs assurent qu'ils faisaient usage, dans l'origine, des cordes de lin, ce qui est difficile à croire, car de pareilles cordes ne pouvaient produire qu'un son sourd et presque nul.
D'abord la harpe n'eut aucun moyen de modulation, parce qu'il était impossible d'y mettre un assez grand nombre de cordes pour représenter tous les sons qui correspondent aux notes exprimées par les dièses et les bémols. Ce ne fut que vers 1660 qu'on imagina, dans le Tyrol, d'ajouter des crochets à l'instrument pour élever l'intonation des cordes lorsque cela était nécessaire ; mais l'obligation de se servir des mains pour faire mouvoir les crochets était fort gênante ; un luthier de Donawerth, nommé Hochbrucker, inventa en 1720 une mécanique qu'on faisait mouvoir avec les pieds, et qui de là prit le nom de pédale. Quoique fort imparfaites, les pédales étaient utiles ; mais la difficulté de mouvoir les pieds en même temps que les mains, difficulté à laquelle on n'était point habitué, fit rencontrer beaucoup d'obstacles à l'inventeur. En 1740, la harpe à pédales n'était point encore connue en France ; ce fut un musicien allemand, nommé Stecht, qui l'introduisit. Hochbrucker, neveu du luthier, et bon harpiste pour le temps, en perfectionna l'usage vers 1770. Mais ce fut surtout Naderman, luthier de Paris, qui donna au mécanisme de la harpe à crocheta toute la perfection dont il était susceptible; cependant le principe de ce mécanisme était vicieux et sujet à beaucoup d'accidents; c'est ce qui détermina M. Sébastien Érard à le remplacer par un mécanisme mieux conçu, dans lequel une fourchette pinçait la corde sans la tirer hors de la ligne verticale, comme cela avait lieu dans la harpe à crochets. Le succès de son invention le conduisit ensuite à compléter les améliorations dont la harpe était susceptible, en donnant à chaque corde la possibilité de fournir trois intonations, savoir, le bémol, le bécarre et le dièse, ce qu'il fit au moyen d'un mécanisme à double mouvement. Il ne paraît pas qu'on puisse rien ajouter à ces harpes; toute la perfection désirable s'y trouve.


J'ai dit qu'on n'a point connu chez les Grecs les instruments à cordes pincées ayant un manche sur lequel on appuie les cordes en divers endroits pour en modifier les intonations ; mais les monuments égyptiens offrent quelques exemples de cette espèce d'instruments ; ce qui pourrait faire croire que ce peuple a été assez avancé dans la musique.

L'origine des instruments à cordes pincées et à manche paraît se trouver dans l'Orient. La vînâ de l'Inde, qui consiste dans un corps de bambou attaché à deux grandes courges, et qui est monté de plusieurs cordes qu'on appuie sur des chevalets avec les doigts, paraît être le type de ces instruments ; mais c'est surtout l'oud ou luth des Arabes, importé en Europe par les Maures d'Espagne, qui a servi de modèle à tous les instruments de cette espèce, car ces instruments n'en sont que des variétés plus ou moins compliquées.
Le corps du luth, convexe du côté du dos, et à table plate, a un manche large garni de dix cases pour poser les doigts, afin de varier les intonations. Il est monté de onze cordes, dont neuf sont doubles, trois à l'unisson et six à l'octave. Les deux premières, ou chanterelles, sont simples. Cet instrument est difficile à jouer et demande beaucoup d'étude. Il était autrefois cultivé avec succès ; Bésard, en Allemagne, et deux musiciens français nommés Gaultier (Ennemond Gaultier et Denis Gaultier), s'y sont rendus célèbres dans le XVIIe siècle. Du nom de luth on a fait luthier, qui signifia d'abord un fabricant de luths, et qu'on a appliqué depuis à tous les facteurs d'instruments à cordes, et même à ceux qui construisent des instruments à vent.

Une imitation du luth, de proportions beaucoup plus considérables, et monté d'un plus grand nombre de cordes, a été nommé autrefois archiluth. De tous les instruments du même genre, celui-là avait le son le plus puissant ; mais la largeur excessive de son manche, qui le rendait fort incommode à jouer, l'a fait abandonner.

Le théorbe était aussi une espèce de luth qui avait deux manches accolés parallèlement; le plus petit de ces manches était semblable à celui du luth, et portait le même nombre de cordes ; mais le second, qui était beaucoup plus grand, soutenait les huit dernières cordes, qui servaient pour les basses.

Deux autres sortes de luth ont été fort en usage vers le commencement du XVIIe siècle :
  • le premier de ces instruments s'appelait pandore. Il y avait le même nombre de cordes qui s'accordaient de la même manière ; mais au lieu d'être faites de boyau, ces cordes étaient de métal. Une autre différence se faisait aussi remarquer dans sa forme. Au lieu d'être convexe, le dos de la pandore était plat.
  • Le second instrument du genre du luth était la mandore. Celui-ci n'avait que quatre cordes qui étaient accordées de quinte en quarte. On abaissait quelquefois la corde la plus haute, ou chanterelle, d'un ton pour obtenir d'autres accords ; cela s'appelait jouer à corde avalée. 
Ces deux instruments ont cessé d'être en usage depuis longtemps.
Enfin, un petit instrument qui appartient à l'espèce du luth se nomme mandoline. Le corps est arrondi comme celui du luth, mais le manche a plus de rapport avec la guitare, dont je parlerai tout à l'heure. La mandoline se tient de la main gauche, et l'on en tire des sons par le moyen d'une plume tenue avec l'extrémité du pouce et de l'index ; mais il faut que l'index soit toujours au-dessous du pouce sans serrer la plume. Les quatre cordes de cet instrument sont accordées à l'unisson de celles du violon. En Italie il y a des mandolines à trois cordes, d'autres à cinq, dont l'accord varie selon le caprice des maîtres.
Le calascione ou colachon, petit instrument avec un très long manche, dont le peuple napolitain se sert, est une espèce particulière de mandoline qui se joue aussi avec une plume. Il est ordinairement monté de trois cordes, mais quelquefois il n'en a que deux.

Toute cette famille de luth a disparu de la musique européenne et ne se retrouve plus que dans l'Orient, où elle joue un grand rôle dans les concerts. Aux XVIe et XVIIe siècles, elle tenait la première place dans ce qu'on nommait les concerts de chambre (musica da camera), et c'était avec ces mêmes instruments qu'on accompagnait les madrigaux, villanelles, chansons de tables et autres, qui étaient toujours chantés à plusieurs parties. Tous les concerts que représentent les tableaux du Titien, de Valentin et des autres peintres anciens de l'école italienne, offrent de ces réunions d'instruments à cordes pincées et de chanteurs. Quoiqu'ils n'eussent qu'une qualité de son peu éclatante, ces mêmes instruments faisaient aussi partie des orchestres dans l'origine de l'opéra. On en voit un exemple dans le drame musical intitulé : Il Sant'Alessio, composé par Etienne Landi, en 1634. L'instrumentation de cet ouvrage était composée de trois parties distinctes de violons, de harpes, de luths, de théorbes, de basses de viole et de clavecins pour la basse continue. Un pareil orchestre paraîtrait aujourd'hui bien sourd, mais l'effet en serait original.

La guitare paraît être originaire d'Espagne, quoiqu'on la trouve dans quelques parties de l'Afrique. Elle est connue en France depuis le XIe siècle ; on lui donnait alors le nom de guiterne. C'est à peu près le seul des instruments à cordes pincées et à manche qui soit resté en usage. On sait que le corps de la guitare est aplati des deux côtés ; elle est montée de six cordes, et son manche est divisé par des cases pour y poser les doigts. En France, en Allemagne et en Angleterre, l'art de jouer de la guitare est porté à un très haut point de perfection ; dans ces derniers temps, MM. Sor, Aguado, Huerta et Carcassi en ont fait un instrument de concert, et sont parvenus à y exécuter de la musique très compliquée à plusieurs parties ; mais en Espagne, pays originaire de cet instrument, il ne sert qu'à accompagner les boléros, les tirannas et autres airs nationaux, et ceux qui s'en servent en jouent d'instinct en frappant les cordes ou les raclant avec le dos de la main.

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