Ch. 1 - Objet de la musique. Son origine. Ses moyens.


Chapitre I
 

Objet de la musique. Son origine. Ses moyens.







La musique peut se définir l'art d'émouvoir par la combinaison des sons (1). Ce n'est pas seulement sur l'espèce humaine que l'action de cet art se fait sentir; la plupart des êtres organisés y sont plus ou moins soumis. L'ouïe qu'il attaque immédiatement n'est que l'agent de perception : c'est sur le système nerveux et sur l'intelligence que sa puissance se développe avec le plus de force; de là vient la diversité de ses effets. Le chien, le cheval, le cerf, l'éléphant, les reptiles, les insectes même, sont sensibles à la musique, mais d'une manière différente. Dans les uns, la sensation ressemble à un ébranlement nerveux porté jusqu'à la douleur; dans les autres, le plaisir subit diverses transformations. L'attention de tous est fixée dès que les sons se font entendre.

Les phénomènes développés par la musique dans l'organisation humaine sont surtout très dignes de remarque. Sur un certain nombre d'individus également sensibles à ses accents, il est des combinaisons de sons qui excitent le plaisir des uns, tandis que les autres restent impassibles, et réciproquement. Telle combinaison qui ne nous a point émus dans un moment, nous transporte de plaisir dans un autre. Quelquefois ce plaisir n'est qu'une douce sensation à laquelle on semble s'abandonner d'une manière passive; dans d'autres circonstances, l'action de l'art prend le caractère de la violence, et tout le système vital est ébranlé. La constitution délicate des femmes les rend propres à éprouver, dans l'audition de la musique, de plus vives sensations que les hommes; il en est même chez lesquelles l'action de cet art porte le délire des sens jusqu'au dernier degré.

Mais si le goût de la musique nous est donné par la nature, l'éducation y ajoute beaucoup, et peut même le faire naître. De là vient sans doute que l'on voit dans le monde des hommes, distingués d'ailleurs par les qualités de l'esprit et par des talents d'un autre genre, montrer non seulement de l'indifférence, mais même de l'aversion pour cet art. Quelques philosophes ont pensé que l'organisation de ces individus est incomplète ou vicieuse; il se peut toutefois que leur manière d'être ne soit que le résultat d'une longue impassibilité des nerfs musicaux, et que le défaut d'exercice ait produit leur insensibilité.

L'action de la musique sur les organes physiques et sur les facultés morales a fait imaginer de s'en servir comme d'un moyen curatif, non seulement dans les affections mentales, mais même dans certaines maladies ou l'organisation animale paraît seule atteinte. Beaucoup de médecins ont fait sur ce sujet des recherches intéressantes, mais dans lesquelles l'esprit philosophique n'a point assez dominé : le nombre des ouvrages où ils les ont consignées est très considérable, et les faits qui y sont exposés ont quelque chose de si peu vraisemblable, qu'ils ont besoin de l'autorité du nom des auteurs pour être admis.

Malgré sa capacité relative, l'esprit humain a des bornes telles que l'idée de l'infini n'y entre qu'avec effort. On veut trouver un commencement à toute chose, et, dans les idées vulgaires, la musique doit avoir une origine comme toutes nos connaissances. La Genèse, ni les poètes de l'antiquité profane, ne parlent des inventeurs de cet art; seulement, ils citent les noms de ceux qui ont fait les premiers instruments, Tubal, Mercure, Apollon et d'autres. Quant à l'origine de la musique, chacun l'a arrangée à sa fantaisie; toutefois, l'opinion qui la place dans le chant des oiseaux a prévalu. Il faut avouer que c'est là une idée bizarre, et que c'est avoir une opinion bien singulière de l'homme que de lui faire trouver l'une de ses jouissances les plus vives dans l'imitation du langage de certains animaux. Non, non, il n'en est point ainsi! l'homme chante comme il parle, comme il se meut, comme il médite, par une suite de la conformation de ses organes et de la disposition de son âme. Cela est si vrai, que les peuples les plus sauvages et les plus isolés de toute communication avaient une musique quelconque quand on les a découverts, lors même que la rigueur du climat ne permettait point aux oiseaux de vivre dans le pays ou d'y chanter. La musique n'est, dans son origine, composée que de cris de joie ou de gémissements douloureux; à mesure que les hommes se civilisent, leur chant se perfectionne; et ce qui, d'abord, n'était qu'un accent passionné, finit par devenir une conception d'art. Il y a loin, sans doute, des sons mal articulés qui sortent du gosier d'une femme de la Nouvelle·Zemble aux fioritures de mesdames Malibran et Sontag; mais il n'en est pas moins vrai que le chant mélodieux de celles-ci a pour premiers rudiments les sons mal articulés de celle-là. Au reste, il importe peu de savoir quelle a été l'origine de la musique : ce qui doit nous intéresser, c'est de savoir ce qu'elle est devenue dès qu'elle a mérité le nom d'art; c'est de nous disposer à recevoir toutes les impressions de plaisir qu'elle peut nous donner, et d'en augmenter l'effet autant qu'il est en nous. C'est là ce qui mérite d'être examiné et recherché.

Par quels moyens la musique agit-elle sur les êtres organisés? question qui se répète souvent sous diverses formes, et dont la solution renferme tout le mécanisme de l'art. Toutefois, sans entrer dans tant de détails, chacun y répond selon son goût, en disant que c'est la mélodie, ou l'harmonie, ou enfin l'union de ces deux choses, mais sans expliquer, et peut-être même sans savoir exactement ce que c'est que la mélodie ou l'harmonie. J'essaierai de lever tous les doutes à cet égard; mais auparavant je dois déclarer qu'il est un troisième moyen d'action que possède la musique, et auquel on n'a point pensé : c'est l'accent, dont la présence ou l'absence est cause que la même mélodie, ou la même harmonie, produit ou ne produit point d'effet. J'expliquerai aussi en quoi il consiste.



(1) Cette définition n’est pas celle qu’on trouve dans les dictionnaires. J.-J. Rousseau dit que la musique est l'art de combiner les sons d’une manière agréable à l'oreille; c’est borner l'action de cet art à une sensation physique, bien qu'il ait une action morale. Le célèbre philosophe Kant définit la musique l'art d’exprimer une agréable succession de sentiments par les sons, ce qui semble exclure les émotions fortes du domaine de cet art. Mosel, littérateur allemand, dit que la musique est l'art d'exprimer des sentiments déterminés par des sons bien coordonnés; mais les sentiments ne sont déterminés dans l’effet de la musique que par le sens des paroles qu’on y adapte; ils sont indéterminés dans la musique instrumentale, et n’en sont pas moins vifs, Je crois que ma définition est la meilleure.


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