Ch. 16 - Des instruments - L'orgue


Chapitre XVI g
 

Des instruments.
L'orgue



     
Le plus considérable, le plus majestueux, le plus riche en effets divers et le plus beau des instruments à vent est l'orgue. On a dit que c'est plutôt une machine qu'un instrument ; cela peut être vrai ; mais de quelque manière qu'on le qualifie, il n'est pas moins certain que c'est une des plus belles inventions de l'esprit humain.

Quelques passages des écrivains de l'antiquité, notamment de Vitruve, ont mis à la torture les commentateurs qui voulaient éclaircir ce que ces écrivains entendaient par l'orgue hydraulique, dont ils attribuent l'invention à Ctésibios, mathématicien d'Alexandrie, qui a vécu du temps de Ptolémée-Évergète. Tout ce qu'en ont dit ces commentateurs n'a servi qu'à prouver qu'ils étaient complétement ignorants de l'objet en question. Vraisemblablement on ne saura jamais quel était le mécanisme de cet orgue hydraulique. Quant à l'orgue pneumatique, c'est-à-dire celui qui est mis en vibration par l'action de l'air, qu'on dit aussi avoir été connu des anciens, sans autre garantie que quelques passages obscurs de poètes, il est vraisemblable que ce n'était que l'instrument rustique des Écossais et des Auvergnats, que nous nommons cornemuse.

L'orgue le plus ancien dont il est fait mention dans l'histoire est celui que l'empereur Constantin-Copronyme envoya en 757 à Pépin, père de Charlemagne. Ce fut le premier qui parut en France. On le plaça dans l'église de Saint-Corneille, à Compiègne. Cet orgue était excessivement petit et portatif comme celui qui fut construit par un Arabe nommé Giafar et qui fut envoyé à Charlemagne par le khalife de Bagdad.

Grégoire, prêtre vénitien, paraît avoir été le premier qui essaya de construire des orgues en Europe. En 826, il fut chargé par Louis-le Pieux d'en faire un pour l'église d'Aix-la-Chapelle. Les progrès furent peu rapides dans l'art de construire cet instrument ; il paraît même que ce ne fut qu'au XIVe siècle que cet art commença à se développer. François Landino, surnommé Francesco d'egli organi, à cause de son habileté sur cet instrument, y fit beaucoup d'améliorations vers 1350. En 1470, un Allemand nommé Bernard Mured, organiste à Venise, inventa les pédales.

L'orgue se compose de plusieurs suites de tuyaux, dont les uns sont en bois ou en mélange d'étain et de plomb, qu'on nomme étoffe, à bouche ouverte comme les flûtes à bec, et dont les autres portent à leur embouchure des languettes de cuivre ou anches. Ces tuyaux sont placés debout, du côté de leur embouchure, dans des trous qui sont pratiqués à la partie supérieure de certaines caisses de bois qu'on appelle sommiers. De grands soufflets distribuent le vent dans des conduits qui communiquent avec l'intérieur des sommiers. A chaque rangée de tuyaux correspond une réglette de bois qui est aussi percée de trous à des distances correspondantes aux trous du sommier. Cette réglette s'appelle registre. Le registre est disposé de manière à couler facilement lorsqu'il est tiré ou poussé par l'organiste. Si le registre est poussé, ses trous ne correspondent point à ceux du sommier dans lesquels les tuyaux sont placés, et dès lors le vent ne peut entrer dans les tuyaux ; mais s'il est tiré, ces trous se trouvent dans une correspondance parfaite, et l'air peut pénétrer dans les tuyaux. Alors, quand l'organiste pose le doigt sur une touche, celle-ci, en s'enfonçant, tire une baguette qui ouvre une soupape correspondante au trou du registre ; le vent y pénètre, et le tuyau de la note rend le son qui appartient à cette note. Si plusieurs registres sont tirés, tous les tuyaux de ces registres qui correspondent à la note touchée résonnent à la fois. Si le tuyau est une flûte, le son est produit par la colonne d'air qui vibre dans le tuyau; si c'est un jeu d'anche, le son résulte des battements de la languette qui brise l'air contre les parois du bec du tuyau. Outre la variété de sons qui provient de cette diversité de principes dans leur production, l'orgue en a d'autres qui sont le résultat des différentes formes et dimensions des tuyaux. Par exemple, si le tuyau de la note qui correspond à l'ut de la clef de fa au-dessous de la portée est un jeu de flûte de huit pieds de hauteur, on lui donne le nom de flûte ouverte ; ce jeu est dans toute l'étendue du clavier à l'unisson des différentes voix que renferme cette étendue, savoir la basse, le ténor, le contralto et le soprano le plus aigu. La hauteur des tuyaux décroît à mesure que les notes s'élèvent. Si le plus grand tuyau n'a que deux pieds, et s'il est de l'espèce des flûtes, on lui donne le nom de prestant, qui veut dire excellent, parce que c'est le jeu qui résonne avec le plus de netteté et qui perd le moins son accord. Ce jeu est plus élevé d'une octave que la flûte ouverte. Si le tuyau n'a qu'un pied de hauteur à la note la plus grave, il résonne à deux octaves au-dessus de la flûte ouverte : on nomme flageolet l'ensemble de ses tuyaux. Un jeu de flûte qui a huit pieds dans son ut grave résonne à une octave plus bas que la flûte de quatre. Il y a des jeux de seize, et même de trente-deux pieds. Lorsque l'espace dont on peut disposer n'est pas assez vaste pour qu'on puisse faire usage de tuyaux d'aussi grandes dimensions, on se sert d'un moyen ingénieux qui consiste à boucher l'extrémité du tuyau opposée à l'embouchure ; la colonne d'air sonore, ne trouvant point d'issue, est forcée de redescendre pour sortir par une petite ouverture qu'on nomme la lumière, et de cette manière, parcourant deux fois la hauteur du tuyau, elle sonne une octave plus grave que si elle était sortie immédiatement par le haut de ce même tuyau. Cette espèce de jeu de flûte se nomme bourdon. Si c'est un jeu de quatre pieds bouchés, on l'appelle bourdon de huit ; s'il est de huit pieds, c'est un bourdon de seize. Parmi les jeux de flûte, il y en a en étoffe, dont le tuyau se termine par un tuyau plus petit qu'on nomme cheminée; d'autres ont la forme de deux cônes renversés et superposés ; chacun de ces jeux a une qualité de son particulière, etc. Les jeux d'anches, qu'on appelle trompettes, clairons, bombardes, voix humaine, se présentent sous la forme d'un cône renversé ouvert. Les tuyaux de chromorne, autre jeu d'anche, sont des cylindres allongés. La fantaisie des facteurs d'orgues peut varier ces sortes de jeux à volonté.
On trouve dans l'orgue une sorte de jeu dont l'idée est très singulière, et dont l'effet est un mystère. Ce jeu, qu'on désigne en général sous le nom de jeu de mutation, se divise en fourniture ou mixture et en cymbale. Chacun de ces jeux se compose de quatre, ou cinq ou six, et même dix tuyaux pour chaque note. Ces tuyaux, de petite dimension et d'un son aigu, sont accordés en tierce, quinte ou quarte, octave, double tierce, etc., en sorte que chaque note fait entendre un accord parfait plusieurs fois redoublé. Il en résulte que l'organiste ne peut faire plusieurs notes de suite sans donner lieu à des suites de tierces majeures, de quintes et d'octaves. Mais ce n'est pas tout : si l'organiste exécute des accords, chacune des notes qui entrent dans sa composition fait entendre autant d'accords parfaits redoublés ou triplés, en sorte qu'il semblerait qu'il doit en résulter une cacophonie épouvantable ; mais, par une sorte de magie, lorsque ces jeux sont unis à toutes les espèces de jeux de flûte, de deux, quatre, huit, seize et trente-deux pieds ouverts ou bouchés,il résulte de ce mélange, qu'on nomme plein jeu, l'ensemble le plus majestueux et le plus étonnant qu'on puisse entendre. Aucune autre combinaison de sons ou d'instruments ne peut en donner l'idée.

Outre les solos de flûte, de hautbois, de clarinette, de basson et de trompette qu'on peut exécuter sur l'orgue, le jeu de cet instrument peut se diviser en trois grands effets, qui sont :
1° la réunion de tous les jeux de flûte, qu'on appelle fonds d'orgue;
2° la réunion de tous les jeux d'anches, qui prend les noms de grand jeu ou grand chœur,
et le plein jeu.

Un grand orgue ancien a ordinairement quatre ou cinq claviers pour les mains, et un clavier aux pieds, qu'on nomme clavier de pédales.
  • Le premier clavier appartient à un petit orgue séparé, dont le nom est positif.
  • Le second clavier est ordinairement celui du grand orgue
  • ; il peut se réunir au premier pour jouer les deux orgues ensemble.
  • On y ajoute quelquefois un troisième clavier, qu'on nomme clavier de bombarde sur lequel on joue les jeux d'anches les plus forts.
  • Le quatrième clavier sert pour les solos; on l'appelle clavier de récit.
  • Le cinquième clavier est destiné à produire des effets d'écho.
  • Quant au clavier des pédales, il sert à l'organiste pour jouer la basse, lorsqu'il veut disposer de sa main gauche pour exécuter des parties intermédiaires. 
Ces anciennes dispositions ont été modifiées récemment.
On a longtemps regretté que l'orgue, qui est pourvu de tant de moyens de variété et d'une si grande puissance d'effet, ne fût point expressifs c'est-à-dire qu'on ne pût lui donner les moyens d'augmenter et de diminuer graduellement l'intensité du son. Quelques facteurs anglais et allemands avaient d'abord imaginé de faire ouvrir ou fermer par une pédale des trappes qui permettaient au son de se produire avec force, ou qui le concentraient dans l'intérieur de l'instrument ; mais ce genre d'expression avait l'inconvénient de ressembler à un long bâillement. Avant la révolution, Sébastien Érard entreprit de construire un piano organisé, dans lequel les sons étaient expressifs par la pression du doigt sur la touche ; il avait réussi complètement lorsque les troubles de la révolution se manifestèrent, et les choses en demeurèrent là. Depuis lors, un amateur instruit, nommé Grenié, imagina de rendre l'orgue expressif au moyen d'une pédale dont la pression plus ou moins forte donne aux sons une intensité plus ou moins grande. Il a prouvé la réalité de sa découverte d'abord dans quelques petites orgues, ensuite dans des instruments de plus grande dimension à l'École royale de musique et à la congrégation du Sacré-Cœur, à Paris. L'effet de ces orgues était fort beau. Érard a perfectionné l'orgue en réunissant dans un seul instrument construit pour la chapelle du roi Charles X, le genre de l'expression de la pédale sur les claviers du grand orgue à l'expression du doigt sur le troisième clavier. Cet instrument a péri dans la révolution de juillet 1830. Dans ces derniers temps, la construction des orgues françaises a fait de grands progrès par les travaux de MM. Daublaine et Callinet, et Cavaillé, sous le rapport du mécanisme et sous celui de l'harmonie des jeux et de leur variété. Cependant il y a aujourd'hui trop de tendance à donner à l'instrument un caractère d'orchestre moderne; ses combinaisons anciennes, un peu rudes peut-être, avaient plus de majesté, plus d'onction chrétienne. Il y avait quelque chose à faire, des perfectionnements à introduire ; mais il fallait rester dans certaines limites, et ne pas chercher une transformation complète.
Les plus célèbres facteurs d'orgue ont été

Les orgues à cylindre, dont les musiciens ambulants font usage, et la serinette, sont construites d'après les mêmes principes que le grand orgue. Un cylindre piqué avec des pointes de cuivre tient lieu d'organiste et fait mouvoir les touches. L'art de piquer ou de noter ces cylindres se nomme la tonotechnie.

Dans ces derniers temps, on s'est servi de l'action de l'air comprimé pour établir un nouveau système d'instruments. Ce système consiste à faire agir le vent par un orifice très petit, qui s'ouvre graduellement sur des lames métalliques très minces, qui entrent en vibration dès que l'air les frappe, et qui produisent des sons graduellement plus forts, à mesure que l'action du vent se développe. Ces instruments ont été inventés en Allemagne vers 1820. Leurs variétés se nomment physharmonica, èoline, éolodion, harmonium, etc. ; ils n'ont point assez de force pour produire de l'effet dans de grandes salles ; mais ils sont fort agréables dans un salon. M. Dietz, facteur de pianos à Paris, a perfectionné ce système de résonance dans un instrument qu'il a nommé aéréphone.

L'effet de ces instruments est analogue à celui qui se manifeste dans l'harmonica, dont le principe est le frottement.

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