Y A-T-IL ROMANCE ET ROMANCE ? (1/2)
Annexe de l'article « Romance, romance, quand tu nous tiens ... »
extrait de "PARIS CHANTANT, Romances, Chansons et chansonnettes,",
Marc Fournier
pages 189-193, Lavigne, Paris, 1845
extrait de "PARIS CHANTANT, Romances, Chansons et chansonnettes,",
Marc Fournier
pages 189-193, Lavigne, Paris, 1845
Il y a peut-être fagot et fagot, je ne contesterai pas la valeur de cette découverte essentiellement philosophique.
Mais il n'y a pas romance et romance. Ce petit poème, ce petit refrain, cette petite musique, en un mot ce petit je ne sais quoi qui se lamente sur le mode mineur depuis un nombre de siècles inimaginable, a cela de commun avec toutes les choses éternelles, qu'il est et sera toujours semblable à lui-même.
Avant d'aller plus loin, prenons bien garde de ne pas nous embrouiller dans les mots.
Une romance, ce n'est pas autre chose qu'une romance; ce n'est ni une chanson, ni une chansonnette, ni une villanelle, ni une ariette, ni un vaudeville, ni une complainte, ni un lai, ni un virelai, ni une séguedille, ni rien au monde qu’une romance, et voilà tout.
Une romance, c'est une petite chose en trois couplets, quelquefois en quatre, rarement en plus grand nombre. Dans cette petite chose, il y a un soupir: ce soupir, c‘est celui d'un monsieur qui aime et qu'on n’aime pas, quand ce n'est point celui d'une dame qui aime et qu’on n'aime plus.
Ce monsieur et cette dame soupirent ainsi depuis la création du monde, ou, si l'on veut, depuis la découverte des bémols, ce qui revient absolument au même.
Si tous les hommes étaient constants, si toutes les femmes étaient humaines, la romance n'existerait pas; et si la romance n'existait pas, il ne faudrait pas l'inventer.
Mais puisque nous sommes tous plus ou moins des monstres de cruauté ou de perfidie, il est bien juste que, pour la peine, nous subissions la romance sans nous plaindre, et mademoiselle Puget avec résignation. Ayons le courage de nos petits défauts.
Cela dit, je conviendrai d‘une chose, car je repousse avec horreur toute espèce de système absolu.
Si la romance est immuable dans son essence, il est cependant reconnu qu'elle change quelquefois de robe, et ne méprise pas tout à fait les capricieuses lois de la mode en ce qui concerne ses atours.
Par exemple, j'ai une tante et une grand-mère. Eh bien! il est facile d'établir une différence notoire entre les bergeries que ma tendre aïeule réussit quelquefois à fredonner quand de vin pur elle a bu deux doigts, et les roucoulements sentimentales de ma digne collatérale.
Ici comme là, il s'agit bien toujours de cruelles et d‘inhumaines, d’inconstants et de volages, de Lovelaces et de Célimènes; c'est bien toujours, si vous voulez, ce petit monde galant et soupireur qui relève exclusivement de la romance, mais on sent que le vertugadin de ma grand-mère a été remplacé chez ma tante par ce corsage à la grecque, de séduisante mémoire, et cette tunique transparente qui rendaient madame Tallien et madame Récamier si belles dans les salons du Luxembourg.
Et vous, Louisa, ma gentille grisette, qui habitez sous les toits avec les hirondelles, vous aussi, vous chantez; mais, hélas! que vos romances ressemblent peu, ma mie, aux ritournelles plaintives de mes grands parents!
Il faut cependant rendre justice aux grisettes en général et à Louisa en particulier.
Le grisette est d'une nature essentiellement sérieuse dans les choses du cœur. Le genre un peu cavalier de Monpou et d'Alfred de Musset a bien pu, dans ces derniers temps, corrompre cette gravité sentimentale qui la distingue, mais ce n'a été qu'une erreur passagère; et Louisa, égarée un instant par la marchessa d’Amaëgui, est retournée bien vite à ce principe éternel de toute romance et de tout cœur de modiste :
Vois-tu, mon ange,
Jamais le cœur ne change;
L'amour d'un jour
Çà n'est pas de l'amour.
Jamais le cœur ne change;
L'amour d'un jour
Çà n'est pas de l'amour.
La grisette, et ceci fait l'éloge de cette constance que de mauvaises langues lui dénient, est demeurée la seule de toutes les beautés de notre époque qu’on puisse séduire aujourd'hui en pinçant de la guitare.
Louisa donne un thé tous les samedis, et ces jours-là, quelques étudiants, ses convives, déploient un talent sur la mandoline qui livre le cœur de la pauvre enfant à de violents orages. Cette circonstance est de notoriété publique.
Malheureusement, il faut bien le dire, toutes les grisettes aujourd'hui ne demeurent pas sous les toits, et toutes n‘ont pas pour l‘étudiant de première année une égale estime.
Quelques-unes, échappées de la loge du portier, ne se sont envolées dans les mansardes que pour retomber de chute en chute jusqu’au premier étage de la maison , dans un boudoir de princesse, tout tapissé de velours et tout jonché de fleurs. Ces beaux anges des gouttières, en se laissant choir dans un lit de guipures, sont devenus quelque peu diables, et méritent tous plus ou moins qu’on les apostrophe de ces deux vers du poète :
Non, non, vous n’êtes plus Lisette,
Non, vous ne portez plus ce nom.
Aussi ce doux nom de grisette, elles ne le portent plus. Louisa n'aime plus la guitare, ni les étudiants en droit; Louisa ne chante plus à sa lucarne, Louisa ne donne plus de thés le samedi soir, Louisa ne se souvient plus de ces romances qui jadis la faisaient tant rêver, la Folle, la Poitrinaire, ma Normandie, la Montagnarde, Je veux t'aimer sans te le dire, Quoi! tu le veux, il faut partir, et tant d’autres mélodieux soupirs qu'elle exhalait autrefois d'une voix tremblante .....Non, vous ne portez plus ce nom.
Non, non, Louisa n’est plus Lisette, c'est Louisa, c'est la grande dame, c'est la grande coquette, c'est la lionne, c'est la lorette enfin!
Qu’est-il résulté de là? Je vais vous le dire.
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