Ch. 8 - Des réformes proposées pour la notation de la musique.
Chapitre VIII
Des réformes proposées pour la notation de la musique.
Des réformes proposées pour la notation de la musique.
Les textes que nous présentons ici sont issus de la troisième édition du livre de F.J.Fétis:
La Musique mise à la portée de tout le monde,
La Musique mise à la portée de tout le monde,
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Depuis près de cent cinquante ans, une multitude de projets de notation ont été proposés pour la musique, et les auteurs de ces projets les ont tous présentés comme préférables, plus faciles à comprendre, ou plus rationnels que la notation maintenant en usage. Cependant aucune innovation de cette espèce n'a été accueillie avec faveur, et la notation usuelle, objet de tant d'attaques et de si amères critiques, est toujours sortie victorieuse des luttes où elle a été engagée.
A quelles causes faut-il attribuer la persistance des musiciens à se servir d'une notation dont on leur a si souvent indiqué les défauts réels ou supposés, et leur dédain pour des systèmes qu'on leur présentait comme meilleurs? C'est ce qu'il s'agit d'examiner ici. Et d'abord, il est nécessaire de faire connaitre les principales objections qui ont été faites contre la notation en usage. J. J. Rousseau, qui a aussi proposé un système plus connu que les autres, à cause de la célébrité de son auteur, a résumé en ces termes ce qui a été cent fois répété sur le même sujet :
Ces paroles ont été paraphrasées, amplifiées et commentées par tous ceux qui ont proposé des systèmes de notation différents de celui qui est en usage. A les entendre,
Malheureusement pour ceux qui émettent de telles opinions, les faits démontrent invinciblement qu'ils ne sont pas dans le vrai; car rien n'est plus ordinaire que de voir des enfants qui lisent la musique avec autant de facilité que des musiciens expérimentés. Les conservatoires de Paris, de Bruxelles, et d'autres, ont présenté depuis cinquante ans des milliers d'exemples de ces jeunes lecteurs à qui la notation de la musique dans tout son ensemble est aussi familière que l'alphabet de leur langue. D'ailleurs, il suffit de remarquer le nombre immense, non seulement de musiciens de profession, mais d'amateurs, qui lisent couramment toute espèce de musique, pour avoir la conviction que la notation usuelle n'est pas ce que disent les inventeurs et propagateurs de notations différentes, et que leur point de départ est une supposition gratuite.
Mais ce n'est pas seulement sa difficulté qu'on reproche à la notation ordinaire de la musique: certaines personnes en considèrent le système comme défectueux. Tous ceux qui ont proposé de nouveaux signes ont fait une longue énumération des défauts qu'ils ont cru remarquer parmi ceux qui sont en usage. L'un d'eux s'est exprimé à cet égard dans les termes suivants :
Pour procéder avec ordre, je pense qu'il faut d'abord examiner s'il y a des signes dans la notation pour exprimer toutes les nuances d'intonation admises dans la musique pour toutes les durées des sons, pour tous les silences; ensuite s'il y en a pour tous les accents de force, de ténuité, de moelleux, de légèreté, d'augmentation, de diminution, de ralentissement, d'accélération, de passion et de calme, sous lesquels les sons peuvent se produire à l'oreille; enfin, s'il n'y a point de signes surabondants pour ces choses. Dans le cas ou j'arriverais à une solution affirmative sur toutes ces questions, il ne resterait plus qu'à examiner un point essentiel à quoi personne n'a songé, à savoir, si les combinaisons des signes se présentent à l'œil de manière à représenter nettement à l'esprit, par la diversité de leur aspect, les circonstances des combinaisons des sons et des silences qui doivent être rendues dans l'exécution, et si cette diversité même, qu'on a objectée, n'est pas précisément ce qui assure à notre notation une incontestable supériorité sur toutes celles qui ont été proposées.
Y a-t-il des signes pour exprimer toutes les nuances d'intonation admises dans la musique?
Oui, et les signes les plus simples qu'on pût imaginer, puisqu'ils ne consistent qu'en un point noir ou un petit cercle de dimensions sensibles à l'œil, et qu'ils ne laissent aucun doute dans l'esprit sur leur signification, à cause de leur position plus ou moins élevée sur les lignes parallèles de la portée qui représentent comme les degrés d'une échelle, et à cause de la diversité des clefs qui déterminent pour chaque degré une intonation donnée. Que si l'on eût tracé d'une manière permanente autant de lignes parallèles qu'il en faut pour représenter, non tout le système des sons, depuis le plus grave jusqu'au plus aigu, ce qui n'est jamais nécessaire, mais tous ceux d'une voix ou d'un instrument, la lecture serait devenue fort difficile, ou plutôt impossible. On peut juger de cette difficulté par les éditions publiées à Rome, dans le XVIIe siècle, des œuvres de Frescobaldi pour l'orgue et le clavecin. La partie de la main droite y est notée sur une portée de six lignes, et celle de la main gauche sur une autre portée dont le nombre de lignes s'élève jusqu'à huit. J'ai vu les plus habiles pianistes et organistes arrêtés par les difficultés de cette notation jusqu'à ne pouvoir plus reconnaître une seule note sans un pénible travail.
Il suit, de ce qui précède que les lignes additionnelles, en dessus et au-dessous de la portée, sont un moyen très ingénieux et très commode, parce que leur nombre, facile à distinguer quand il n'est pas trop multiplié, indique avec beaucoup de clarté l'intonation des notes placées en dehors de la portée. On a obvié d'une manière très simple à la multiplicité des lignes additionnelles pour les sons très aigus ou très graves, en indiquant au-dessus ou au-dessous des notes une transposition d'octaves par un 8 suivi d'un trait prolongé sur tout le passage en notes très aiguës et très graves. Les clefs d'octaves de sol et de fa, mises en usage par quelques auteurs depuis un certain nombre d'années, atteignent le même but et parlent aussi clairement aux yeux.
Les dièses, les bémols et les bécarres, objets des plus amères critiques des réformateurs . ne sont qu'un moyen de simplification. En réalité, il n'y a pas plus de sons d'ut dièse que de ré bémol dans la nature; il n'y a qu'un son plus élevé que ut et plus bas que ré, plus élevé que fa, et plus bas que sol, etc. Mais s'il avait fallu placer ces sons intermédiaires sur la portée, les lignes se seraient multipliées, et les inconvénients de cette multiplicité, signalés plus haut, se seraient reproduits. Ce fut donc une idée fort ingénieuse que celle de la supposition de notes altérées et rendues à leur situation primitive d'une manière systématique et régulière par l'effet des dièses, des bémols et des bécarres, et de tout le système de tonalité, qui en est la conséquence immédiate. Qu'importe que ce système ne soit qu'une fiction, si cette fiction est saisie facilement par l'intelligence la plus ordinaire, si l'usage de ces signes ne laisse aucun doute dans l'esprit, et si l'œil peut les discerner d'une manière non équivoque, ainsi que le démontrent les innombrables épreuves faites dans les écoles! Il y a tant de régularité dans l'enchaînement et dans la coordonnance de tous ces signes d'intonation,, conformément à notre système de tonalité, qu'au lieu de rejeter leur emploi dans la notation, il faudrait rendre hommage à la belle et féconde idée qui leur a donné naissance.
Les clefs ont été et sont encore en butte à des attaques plus sérieuses que celles qu'on a dirigées contre les autres parties de la notation. Au premier aspect, les arguments qu'on oppose à leur usage paraissent plausibles. Eh quoi ! dit-on, ce n'est pas assez que le lecteur soit obligé de reconnaître chaque note sur les lignes ou dans les espaces de la portée, et de se rappeler immédiatement les intonations qui appartiennent à chacune de ces notes? il faut encore que les noms de celles-ci varient comme leurs intonations, par l'effet de la variété des clefs, et que l'esprit flotte incertain entre tous ces noms de notes attribués aux mêmes signes et aux mêmes positions sur la portée !
Parmi les adversaires des clefs, ceux qui n'ont pas voulu changer absolument le système de la notation, mais seulement le modifier, ont proposé d'en réduire le nombre; on a même été jusqu'à prétendre que la clef de sol pouvait suffire, et l'on s'est persuadé que la suppression de toutes les autres serait une amélioration dans l'art d'écrire et de lire la musique, parce que cet art serait plus facile à apprendre. Que serait-il résulté d'une semblable réduction, si elle eût été adoptée? Je vais le dire, en commençant par l'exposé des principes qui ont fait adopter la diversité des clefs.
Dans l'origine, et lorsque la portée n'était composée que d'une ou de deux lignes, on plaçait au commencement de celle-ci une lettre qui indiquait la position d'une note destinée à faire reconnaître les autres par le plus ou moins d'éloignement de ce point de départ. Ainsi, l'on mettait
sur une de ces lignes f pour fa, c pour ut, g pour sol, et d pour ré. Plus tard, lorsque la portée, composée de quatre ou cinq lignes, ne laissa plus de doute sur la position des notes, les clefs remplacèrent les lettres. L'une de ces clefs, placée au commencement de la portée, désigna la position d'une seule note qui servit à faire reconnaître les autres; en sorte qu'il n'y eut plus qu'une seule clef au commencement de la portée, au lieu de deux ou trois lettres superposées qu'il y avait auparavant.
La musique ayant été d'abord destinée principalement aux voix, et l'étendue des voix ordinaires n'étant que d'un intervalle de dixième ou de onzième, pris à différents diapasons, la portée de cinq lignes suffisait pour renfermer toutes les notes de chaque genre de voix. Il ne s'agissait que de représenter chacun de ces genres de voix par une clef particulière. Or, les anciens compositeurs avaient très bien remarqué que la nature a établi beaucoup de variété dans les voix, et que depuis la basse jusqu'au premier dessus il y a plusieurs voix intermédiaires plus ou moins graves, plus ou moins élevées : cette considération les conduisit à représenter, comme je viens de le dire, chaque genre de voix par une clef particulière. C'est ainsi que la clef de fa sur la quatrième ligne fut attribuée à la basse la plus grave; la même clef sur la troisième ligne appartint à la basse la plus élevée, improprement appelée baryton; le ténor eut la clef d'ut sur la quatrième ligne; le ténor plus élevé la même clef sur la troisième ligne; le contralto la même sur la deuxième; le mezzo-soprano, ou second dessus, la même sur la première; le soprano, ou premier dessus, la clef de sol sur la deuxième ligne. Par cet arrangement et par le peu d'étendue des voix, l'emploi des lignes additionnelles était évité. A l'égard de la clef de sol sur la première ligne, elle était réservée aux parties de violon, de flûte et de hautbois, qui s'élèvent au-dessus des voix les plus aiguës. La succession des clefs, depuis la voix la plus grave jusqu'à l'instrument le plus aigu, offrait, comme on voit dans l'exemple suivant, une progression de tierces ascendantes (4).
A quelles causes faut-il attribuer la persistance des musiciens à se servir d'une notation dont on leur a si souvent indiqué les défauts réels ou supposés, et leur dédain pour des systèmes qu'on leur présentait comme meilleurs? C'est ce qu'il s'agit d'examiner ici. Et d'abord, il est nécessaire de faire connaitre les principales objections qui ont été faites contre la notation en usage. J. J. Rousseau, qui a aussi proposé un système plus connu que les autres, à cause de la célébrité de son auteur, a résumé en ces termes ce qui a été cent fois répété sur le même sujet :
"Cette quantité de lignes, de clefs, de transpositions, de dièses, de bémols, de bécarres, de mesures simples et composées, de rondes, de blanches, de noires, de croches, de doubles, de triples croches, de pauses, de demi-pauses, de soupirs, de demi-soupirs, de quarts de soupirs, etc., donne une foule de signes et de combinaisons, d'où résultent deux inconvénients principaux, l'un d'occuper un trop grand volume, et l'autre de surcharger la mémoire des écoliers, de façon que l'oreille étant formée, et les organes ayant acquis toute la facilité nécessaire, longtemps avant qu'on soit en état de chanter à livre ouvert, il s'ensuit que la difficulté est toute dans l'observation des règles, et non dans l'exécution du chant (1)."Et dans un autre endroit (2) :
" Tout le monde, excepté les artistes, ne cesse de se plaindre de l'extrême longueur qu'exige l'étude de la musique avant que de la posséder passablement; mais comme la musique est une des sciences sur lesquelles on a le moins réfléchi, soit que le plaisir qu'on y prend nuise au sang-froid nécessaire pour méditer, soit que ceux qui la pratiquent ne soient pas trop communément gens à réflexion, on ne s'est guère avisé jusqu'ici de rechercher les véritables causes de sa difficulté, et l'on a injustement taxé l'art même des défauts que l'artiste y a introduits. "
Ces paroles ont été paraphrasées, amplifiées et commentées par tous ceux qui ont proposé des systèmes de notation différents de celui qui est en usage. A les entendre,
- la lecture de la musique, suivant ce système, serait entourée de difficultés qu'on ne parviendrait à surmonter qu'après y avoir employé une grande partie de la vie;
- enfin, il n'y aurait qu'un petit nombre d'adeptes qui parviendraient à la connaissance parfaite de toutes les combinaisons des signes de la notation, et qui pourraient en faire une immédiate application dans la pratique.
Malheureusement pour ceux qui émettent de telles opinions, les faits démontrent invinciblement qu'ils ne sont pas dans le vrai; car rien n'est plus ordinaire que de voir des enfants qui lisent la musique avec autant de facilité que des musiciens expérimentés. Les conservatoires de Paris, de Bruxelles, et d'autres, ont présenté depuis cinquante ans des milliers d'exemples de ces jeunes lecteurs à qui la notation de la musique dans tout son ensemble est aussi familière que l'alphabet de leur langue. D'ailleurs, il suffit de remarquer le nombre immense, non seulement de musiciens de profession, mais d'amateurs, qui lisent couramment toute espèce de musique, pour avoir la conviction que la notation usuelle n'est pas ce que disent les inventeurs et propagateurs de notations différentes, et que leur point de départ est une supposition gratuite.
Mais ce n'est pas seulement sa difficulté qu'on reproche à la notation ordinaire de la musique: certaines personnes en considèrent le système comme défectueux. Tous ceux qui ont proposé de nouveaux signes ont fait une longue énumération des défauts qu'ils ont cru remarquer parmi ceux qui sont en usage. L'un d'eux s'est exprimé à cet égard dans les termes suivants :
" On ferait un volume de tout ce qui e été depuis longtemps dit ou écrit, de fondé, au sujet des vices de cette notation; vices qui sont tels que si les musiciens seuls sont à même de les signaler en détail et de les apprécier, tout homme judicieux peut en affirmer l'énormité d'après les moindres notions de l'art de la musique."
"Que l'on compare en effet l'objet si pauvre, on peut le dire, de la notation musicale, l'indication de la valeur des sons sous le double rapport, 1° de leur acuité plus ou moins grande, 2° de leur durée, à la multitude et à la diversité des signes que présente une page de musique ordinaire, et l'on sera autorisé à induire de ce simple rapprochement une disproportion monstrueuse entre les moyens et la fin de cette notation (3)"Chose singulière ! un langage à peu près semblable tenu par tous les réformateurs au profit de le notation de la musique, depuis près de cent cinquante ans, n'a pas trouvé de contradicteurs. Les musiciens eux-mêmes ont fait bon marché de cette notation, dont ils se servent tous les jours sans embarras; et la seule objection qu'on a opposée aux critiques a été qu'il était impossible de refaire tout d'un coup l'éducation musicale de tous les artistes et de tous ceux qui lisent la musique par la notation ordinaire; enfin, qu'une réforme complète anéantirait toute la musique notée par les procédés ordinaires. Ces objections font très bien comprendre ce qui doit supposer au succès d'une notation nouvelle, et ce qui rend impossible son adoption; mais n'y avait-il pas de réponse solide à. faire aux allégations contre la notation habituelle, et ne devait-on pas examiner si elles sont fondées, au lieu de faire tout d'abord de dangereuses concessions aux novateurs? Ce qu'on n'a point fait, je l'entreprends ici, certain de démontrer, non seulement que le système de la notation actuelle n'a pas tous les défauts qu'on lui attribue, mais qu'elle est une des inventions humaines qui remplissent le mieux l'objet auquel elles sont destinées.
Pour procéder avec ordre, je pense qu'il faut d'abord examiner s'il y a des signes dans la notation pour exprimer toutes les nuances d'intonation admises dans la musique pour toutes les durées des sons, pour tous les silences; ensuite s'il y en a pour tous les accents de force, de ténuité, de moelleux, de légèreté, d'augmentation, de diminution, de ralentissement, d'accélération, de passion et de calme, sous lesquels les sons peuvent se produire à l'oreille; enfin, s'il n'y a point de signes surabondants pour ces choses. Dans le cas ou j'arriverais à une solution affirmative sur toutes ces questions, il ne resterait plus qu'à examiner un point essentiel à quoi personne n'a songé, à savoir, si les combinaisons des signes se présentent à l'œil de manière à représenter nettement à l'esprit, par la diversité de leur aspect, les circonstances des combinaisons des sons et des silences qui doivent être rendues dans l'exécution, et si cette diversité même, qu'on a objectée, n'est pas précisément ce qui assure à notre notation une incontestable supériorité sur toutes celles qui ont été proposées.
Y a-t-il des signes pour exprimer toutes les nuances d'intonation admises dans la musique?
Oui, et les signes les plus simples qu'on pût imaginer, puisqu'ils ne consistent qu'en un point noir ou un petit cercle de dimensions sensibles à l'œil, et qu'ils ne laissent aucun doute dans l'esprit sur leur signification, à cause de leur position plus ou moins élevée sur les lignes parallèles de la portée qui représentent comme les degrés d'une échelle, et à cause de la diversité des clefs qui déterminent pour chaque degré une intonation donnée. Que si l'on eût tracé d'une manière permanente autant de lignes parallèles qu'il en faut pour représenter, non tout le système des sons, depuis le plus grave jusqu'au plus aigu, ce qui n'est jamais nécessaire, mais tous ceux d'une voix ou d'un instrument, la lecture serait devenue fort difficile, ou plutôt impossible. On peut juger de cette difficulté par les éditions publiées à Rome, dans le XVIIe siècle, des œuvres de Frescobaldi pour l'orgue et le clavecin. La partie de la main droite y est notée sur une portée de six lignes, et celle de la main gauche sur une autre portée dont le nombre de lignes s'élève jusqu'à huit. J'ai vu les plus habiles pianistes et organistes arrêtés par les difficultés de cette notation jusqu'à ne pouvoir plus reconnaître une seule note sans un pénible travail.
Il suit, de ce qui précède que les lignes additionnelles, en dessus et au-dessous de la portée, sont un moyen très ingénieux et très commode, parce que leur nombre, facile à distinguer quand il n'est pas trop multiplié, indique avec beaucoup de clarté l'intonation des notes placées en dehors de la portée. On a obvié d'une manière très simple à la multiplicité des lignes additionnelles pour les sons très aigus ou très graves, en indiquant au-dessus ou au-dessous des notes une transposition d'octaves par un 8 suivi d'un trait prolongé sur tout le passage en notes très aiguës et très graves. Les clefs d'octaves de sol et de fa, mises en usage par quelques auteurs depuis un certain nombre d'années, atteignent le même but et parlent aussi clairement aux yeux.
Les dièses, les bémols et les bécarres, objets des plus amères critiques des réformateurs . ne sont qu'un moyen de simplification. En réalité, il n'y a pas plus de sons d'ut dièse que de ré bémol dans la nature; il n'y a qu'un son plus élevé que ut et plus bas que ré, plus élevé que fa, et plus bas que sol, etc. Mais s'il avait fallu placer ces sons intermédiaires sur la portée, les lignes se seraient multipliées, et les inconvénients de cette multiplicité, signalés plus haut, se seraient reproduits. Ce fut donc une idée fort ingénieuse que celle de la supposition de notes altérées et rendues à leur situation primitive d'une manière systématique et régulière par l'effet des dièses, des bémols et des bécarres, et de tout le système de tonalité, qui en est la conséquence immédiate. Qu'importe que ce système ne soit qu'une fiction, si cette fiction est saisie facilement par l'intelligence la plus ordinaire, si l'usage de ces signes ne laisse aucun doute dans l'esprit, et si l'œil peut les discerner d'une manière non équivoque, ainsi que le démontrent les innombrables épreuves faites dans les écoles! Il y a tant de régularité dans l'enchaînement et dans la coordonnance de tous ces signes d'intonation,, conformément à notre système de tonalité, qu'au lieu de rejeter leur emploi dans la notation, il faudrait rendre hommage à la belle et féconde idée qui leur a donné naissance.
Les clefs ont été et sont encore en butte à des attaques plus sérieuses que celles qu'on a dirigées contre les autres parties de la notation. Au premier aspect, les arguments qu'on oppose à leur usage paraissent plausibles. Eh quoi ! dit-on, ce n'est pas assez que le lecteur soit obligé de reconnaître chaque note sur les lignes ou dans les espaces de la portée, et de se rappeler immédiatement les intonations qui appartiennent à chacune de ces notes? il faut encore que les noms de celles-ci varient comme leurs intonations, par l'effet de la variété des clefs, et que l'esprit flotte incertain entre tous ces noms de notes attribués aux mêmes signes et aux mêmes positions sur la portée !
Parmi les adversaires des clefs, ceux qui n'ont pas voulu changer absolument le système de la notation, mais seulement le modifier, ont proposé d'en réduire le nombre; on a même été jusqu'à prétendre que la clef de sol pouvait suffire, et l'on s'est persuadé que la suppression de toutes les autres serait une amélioration dans l'art d'écrire et de lire la musique, parce que cet art serait plus facile à apprendre. Que serait-il résulté d'une semblable réduction, si elle eût été adoptée? Je vais le dire, en commençant par l'exposé des principes qui ont fait adopter la diversité des clefs.
Dans l'origine, et lorsque la portée n'était composée que d'une ou de deux lignes, on plaçait au commencement de celle-ci une lettre qui indiquait la position d'une note destinée à faire reconnaître les autres par le plus ou moins d'éloignement de ce point de départ. Ainsi, l'on mettait
sur une de ces lignes f pour fa, c pour ut, g pour sol, et d pour ré. Plus tard, lorsque la portée, composée de quatre ou cinq lignes, ne laissa plus de doute sur la position des notes, les clefs remplacèrent les lettres. L'une de ces clefs, placée au commencement de la portée, désigna la position d'une seule note qui servit à faire reconnaître les autres; en sorte qu'il n'y eut plus qu'une seule clef au commencement de la portée, au lieu de deux ou trois lettres superposées qu'il y avait auparavant.
La musique ayant été d'abord destinée principalement aux voix, et l'étendue des voix ordinaires n'étant que d'un intervalle de dixième ou de onzième, pris à différents diapasons, la portée de cinq lignes suffisait pour renfermer toutes les notes de chaque genre de voix. Il ne s'agissait que de représenter chacun de ces genres de voix par une clef particulière. Or, les anciens compositeurs avaient très bien remarqué que la nature a établi beaucoup de variété dans les voix, et que depuis la basse jusqu'au premier dessus il y a plusieurs voix intermédiaires plus ou moins graves, plus ou moins élevées : cette considération les conduisit à représenter, comme je viens de le dire, chaque genre de voix par une clef particulière. C'est ainsi que la clef de fa sur la quatrième ligne fut attribuée à la basse la plus grave; la même clef sur la troisième ligne appartint à la basse la plus élevée, improprement appelée baryton; le ténor eut la clef d'ut sur la quatrième ligne; le ténor plus élevé la même clef sur la troisième ligne; le contralto la même sur la deuxième; le mezzo-soprano, ou second dessus, la même sur la première; le soprano, ou premier dessus, la clef de sol sur la deuxième ligne. Par cet arrangement et par le peu d'étendue des voix, l'emploi des lignes additionnelles était évité. A l'égard de la clef de sol sur la première ligne, elle était réservée aux parties de violon, de flûte et de hautbois, qui s'élèvent au-dessus des voix les plus aiguës. La succession des clefs, depuis la voix la plus grave jusqu'à l'instrument le plus aigu, offrait, comme on voit dans l'exemple suivant, une progression de tierces ascendantes (4).
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