Ch. 9 - Des méthodes pour l'enseignement de la musique.


Chapitre IX
 

Des méthodes pour l'enseignement de la musique.





Ainsi que la notation dont il a été traité dans le chapitre précédent, les autres éléments qui composent l'ensemble du système de la musique ont été vivement attaqués par les auteurs d'une multitude de projets pour l'enseignement de cet art. A les entendre, les principes sur lesquels est basé ce système sont obscurs, mal coordonnés, remplis d'exceptions et de contradictions ; enfin, leur étude exige un temps considérable et des efforts de mémoire et d'intelligence qui souvent amènent le dégoût dans l'âme des élèves.
Il suffirait sans doute, pour démontrer la fausseté de ces allégations, de rappeler que le nombre de musiciens bons lecteurs qui sont répandus sur la surface du globe est si considérable, qu'on en pourrait former une population de plusieurs millions d'individus, et d'ajouter que la multitude de cours où les nouvelles méthodes ont été mises en pratique depuis trente ans n'ont pas produit dix artistes qu'on puisse joindre à cette immense population musicienne ; mais sans nous arrêter à cette comparaison des produits de l'ancien système et des nouveaux, qui serait décisive, examinons ce que sont ces méthodes nouvelles, et démontrons que leurs auteurs ou leurs propagateurs se sont fourvoyés en voulant leur donner une portée qu'elles n'ont pas, au lieu de les appliquer à ce qu'elles peuvent avoir d'utile, à savoir l'enseignement populaire d'une partie très minime de l'art.

En réalité, la constitution des gammes, le système de la division du temps et la notation, composent tous les principes de la musique.

Dans le moyen-âge, et jusque vers la fin du XVIe siècle, ces éléments de l'art furent présentés sous une forme absurde; car, bien que la nature n'ait jamais permis de reconnaître plus ou moins de sept sons dans les limites de chaque octave des échelles diatoniques, on avait réduit à six le nombre de noms de ces sons, et de cette bizarre conception était né le système monstrueux des nuances, d'après lequel certaines notes de la gamme, représentant des sons déterminés, avaient trois noms différents et d'autres deux, suivant les circonstances. La création de la tonalité moderne fit disparaître cette solmisation anormale, et donna naissance à l'appellation des sons de la gamme diatonique par sept noms affectés invariablement chacun à un son déterminé.
Il en est de la division du temps et de sa mesure en musique comme de l'intonation des sons de la gamme diatonique dans chaque octave, car ce sont les lois mêmes du système du monde qui en fournissent les éléments, et toute combinaison quelconque du temps musical a nécessairement pour base les oscillations du pendule astronomique. De quelque manière qu'on puisse concevoir les combinaisons et les divisions du temps musical, on ne pourra jamais y trouver d'autres éléments que la division binaire et la division ternaire.
La notation, en ce qui concerne la durée des sons et des silences dont se compose la musique, ne doit donc pas avoir d'autre objet que de représenter clairement aux yeux les valeurs binaires et ternaires du temps , eu égard au mouvement, par des signes de convention qui ne permettent pas d'équivoque. Or, dans le moyen-âge, on vit s'établir un système de notation de la musique mesurée non moins absurde que celui de la solmisation ; car ce système était conçu de telle sorte, que les signes, représentant toute autre chose en certaines circonstances que ce qu'ils semblaient indiquer, étaient un piège tendu à l'intelligence du lecteur, une énigme qu'il devait deviner ; ils exigeaient de sa part un calcul prompt et un coup d'œil sûr pour exécuter autre chose que ce que les signes semblaient indiquer, et pour rendre la pensée du compositeur. Des réformes, commencées dans la seconde moitié du XVIe siècle, et continuées jusque vers la fin du XVIIe siècle, ont fait disparaître par degrés cette ridicule conception, et ont conduit au système de notation maintenant en usage; système qui, comme je l'ai fait voir dans le chapitre précédent, est complet, logique, et a l'avantage de peindre aux yeux la pensée du compositeur par des signes spéciaux de formes facilement reconnaissables, lesquels ne laissent point de doute sur leur signification, et se combinent si bien pour l'intelligence du lecteur, que le musicien instruit ne lit point par signes, mais par groupes. Les accompagnateurs habiles lisent même plusieurs lignes à la fois et d'un seul coup d'œil.

Voilà ce que n'ont pas compris ceux qui ont proposé d'abandonner ce système de notation pour en adopter de nouveaux. On verra tout à l'heure que les méthodes d'enseignement qu'ils ont prétendu baser sur des signes différents de ceux de la notation ordinaire ne sont applicables qu'à des cas particuliers placés en quelque sorte à côté de l'art. Cruelles que soient leurs assertions, quelques violentes que soient leurs attaques contre le système de cet art, ils sont impuissants à toucher à ses principes, c'est-à-dire à la constitution de l'échelle, à la division du temps et à la notation, sans porter la perturbation dans l'art lui-même.

Les méthodes d'enseignement de la musique ne peuvent avoir pour but que deux résultats, à savoir, de former des artistes , et de donner aux masses populaires des notions de chant.
Pour atteindre le premier de ces buts, c'est-à-dire, pour conduire un jeune musicien à la plus grande habileté pratique qu'il puisse acquérir, l'expérience a démontré que l'exercice lent, progressif et souvent répété, est le seul moyen efficace. C'est dans l'exposition des principes et dans la gradation de l'exercice que consiste l'ancienne méthode par laquelle on arrive à ce but. Cette méthode n'a pas besoin d'être justifiée , car ses immenses résultats sont trop évidents. Si les auteurs des premiers ouvrages élémentaires et des anciens solfèges ont fait désirer plus d'ordre et de philosophie dans l'exposition des principes, les défauts de leurs livres ont progressivement disparu dans ceux de leurs successeurs, et, depuis environ trente-cinq ans, la division de l'enseignement en trois objets principaux et distincts qui sont l'intonation des sons, leurs durées et la notation, n'a plus rien laissé d'imparfait. Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, il n'y aura jamais d'artiste véritable formé que par cette méthode, et les hautaines déclamations de ses adversaires seront toujours impuissantes à lui porter atteinte.
A l'égard de l'enseignement élémentaire et populaire, on l'a vu se produire sous des formes variées à différentes époques, particulièrement depuis le commencement de ce siècle ; mais toutes les formes se classent en deux systèmes principaux, dont l'un est conforme à l'art tel qu'il est, et dont l'autre se pose en réformateur. Le premier système est celui qu'on examinera d'abord ici.

Dès longtemps on s'est préoccupé des moyens de rendre l'étude de la musique facile pour les enfants en la transformant en jeux de diverses sortes, et successivement on a vu paraître des cartes musicales, des dés musicaux, un loto musical, un domino de musique, etc. Certain auteur, nommé Dumas, imagina de rassembler dans un casier les caractères de tous les signes de la musique, et de faire composer, au moyen de ces caractères, des leçons données, par les mêmes procédés que ceux de la typographie. L'énumération de toutes les choses de ce genre, qui tour à tour mises en vogue, oubliées et reproduites comme des choses nouvelles , ont été de nouveau abandonnées, serait fort longue. De pareils procédés d'enseignement ne sont applicables avec quelque succès que dans l'éducation privée, Dans l'enseignement collectif conforme aux principes de la musique ordinaire, on distingue
  • la méthode concertante de Choron
  • celle de l'enseignement simultané , imaginée par M. Massimino ; 
  • la méthode mixte, inventée par M. Pastou, et connue sous le nom d'École de la lyre harmonique
  • et enfin la méthode de Bocquillon-Wilhem.
A l'exception de cette dernière, aucune de celles qui viennent d'être mentionnées ne paraît avoir eu pour objet l'enseignement populaire de la musique. En perfectionnant les livres élémentaires pour l'enseignement spécial de cet art, le Conservatoire de Paris avait rendu les études plus fortes, et avait formé des musiciens plus habiles que ceux des générations précédentes. Mais la vigoureuse éducation musicale qu'on recevait au Conservatoire ne se trouvait que dans cette école. Cependant les autorités municipales de quelques grandes villes de France avaient compris l'utilité que la musique peut avoir dans l'éducation publique, et quelques écoles, dotées de faibles ressources , avaient été fondées vers les dernières années de l'empire français, à Lille, Douai, Metz, Strasbourg et Toulouse. Ce fut dans ces circonstances que, presque simultanément, les auteurs des méthodes qui viennent d'être énumérées mirent la main à l'œuvre.

Choron est le premier qui doit nous occuper, parce que, sans avoir précisément en vue l'introduction de la musique dans l'enseignement primaire, il s'occupa spécialement de choses qui sont destinées à y produire les meilleurs effets : je veux parler du développement du sentiment harmonique. Frappé de cette considération que le sentiment de l'intonation et celui de la mesure du temps musical sont indépendants l'un de l'autre, Choron en avait conclu qu'on doit séparer dans l'enseignement les notions qui concernent ces choses. Passant ensuite à la nécessité de la gradation dans les difficultés, il s'était fait un système concernant cette gradation, qui consistait à combiner des solfèges à trois ou quatre parties, de manière que chacune de ces parties offrît un degré différent dans l'ordre des difficultés ; en sorte que l'école de Choron était partagée en quatre classes, dont chacune représentait un degré différent d'avancement. Il donna à ce système d'enseignement le nom de méthode concertante , et en fit l'expérience sur un grand nombre d'enfants réunis en chœur, et choisis en général parmi les enfants pauvres, dans les écoles de charité.
Telle était la méthode concertante, qui paraissait d'abord n'avoir pas survécu à son auteur, mais qu'on a vue reparaître dans ces derniers temps en quelques localités. Choron avait obtenu de beaux succès en la mettant en pratique avec un grand nombre d'élèves ; mais il ne faut pas prendre le change sur ces résultats, ni les considérer comme étant ceux d'un enseignement véritablement populaire. Les difficultés qu'on se proposait de vaincre par la méthode étaient trop grandes pour que tous les élèves en pussent triompher. Le plus grand nombre, rebuté par ces difficultés, se retiraient des cours après des essais infructueux plus ou moins prolongés. Le but du fondateur de la méthode était de faire des élèves d'élite, et, suivant son opinion, il devait opérer sur des masses considérables d'enfants, pour arriver, par des épurations successives, au choix d'individus dont il se proposait de faire des artistes distingués, et dont il avait besoin pour réaliser ses projets de restauration de la musique d'église.


Vers 1816, c'est-à-dire à l'époque même où Choron commença l'essai de sa méthode, M. Massimino, musicien piémontais, ouvrit à Paris un cours de musique basé sur une méthode d'enseignement collectif qui eut un succès de vogue dans sa nouveauté. Cette méthode consiste à dicter à un certain nombre d'élèves une leçon qu'ils écrivent sur des ardoises où l'on a tracé des portées. La leçon, d'abord fort simple, devient graduellement plus difficile. L'opération terminée, le maître appelle près de lui chaque élève, lui fait chanter la leçon en corrigeant les fautes qu'il a faites sous la dictée. Les corrections achevées, toutes les voix se réunissent pour chanter cette leçon, qu'on recommence jusqu'à ce que l'exécution soit satisfaisante. Des solfèges volumineux donnés en exercices aux élèves, et chantés par eux dans les cours, complètent leur éducation.
Ainsi qu'on le voit, le système de M. Massimino est une application à la musique de la méthode lancastrienne, par laquelle on apprend à lire en écrivant ; c'est ce qui lui a fait donner improprement le nom d'enseignement mutuel de la musique. Bien qu'il y ait des moniteurs dans l'école, et que ces moniteurs dirigent une certaine quantité d'élèves, ils n'enseignent cependant pas en réalité, car ils sont dirigés par le professeur, qui dicte la même leçon pour tous. L'enseignement est simultané, il n'est pas mutuel. Cet enseignement a quelque chose de séduisant et même d'utile. Tout le monde sait qu'il arrive souvent qu'un élève éprouve de la difficulté à reconnaître le nom d'une note à la seule audition du son, et à lui assigner avec promptitude la valeur de sa durée, bien qu'il ait déjà quelque habitude de la lecture. Cette difficulté résulte de la paresse de l'esprit, que rien ne porte à réfléchir s'il n'y est obligé. C'est donc un exercice utile que celui qui développe la mémoire des sons et celle de la mesure de leur durée.
Les prompts résultats de la méthode de M. Massimino firent son succès dans l'origine ; mais ayant moins en vue de faire l'application de cette méthode à un enseignement élémentaire pour le peuple que de former des éducations complètes de musiciens, l'auteur reconnut bientôt que des exercices développés de solfège pouvaient seuls le conduire à ce but, et il en écrivit un grand nombre dont la réunion forme deux gros volumes in-folio. La méthode de M. Massimino doit donc être rapportée à l'enseignement artistique, considéré sous un point de vue particulier.


Dans ce qui précède, on n'a pas vu le véritable enseignement populaire : nous allons en voir la réalisation absolue dans la méthode inventée par Bocquillon-Wilhem. Les premiers essais en furent faits en 1819, d'abord dans un pensionnat de Paris, puis dans l'école instituée par le préfet du département de la Seine, rue Saint-Jean-de-Beauvais, pour l'enseignement mutuel. Ses heureux résultats la firent bientôt adopter à l'exclusion de toute autre pour les écoles publiques de Paris par la Société pour l'instruction élémentaire, et les encouragements accordés par le conseil municipal de cette ville donnèrent une base solide à son application en grand dans l'enseignement populaire. Il serait trop long de rappeler ici par quels développements progressifs et par quelle suite non interrompue de succès cette méthode a acquis chaque jour plus d'importance, enfin comment, dans l'espace de vingt-six ans, elle a rendu d'éminents services à la civilisation en contribuant puissamment à la moralisation du peuple. Les journaux et les rapports publiés sur ces résultats ont fourni sur ce sujet tous les renseignements désirables. Le nombre toujours croissant des élèves dans les écoles où on enseigne cette méthode se compte maintenant par milliers : nul doute qu'un temps viendra où des écoles semblables couvriront le sol de la France et répandront partout le goût et la connaissance du chant. Il est un fait dont on peut tirer l'induction que si la méthode de Wilhem est plutôt destinée à produire ce résultat qu'à former des artistes distingués, elle peut du moins préparer l'éducation de ceux-ci et leur fournir l'occasion de se manifester; car c'est d'une école dirigée par son inventeur que mademoiselle Falcon est sortie pour aller au Conservatoire, et de là sur la scène de l'Opéra, où l'on sait qu'elle se plaça tout d'abord au premier rang.
Depuis que B. Wilhem conçut la première pensée de sa méthode jusqu'à sa mort, il lui fit subir plusieurs transformations dans les détails, cherchant toujours à la simplifier davantage; mais il n'a rien changé à ses bases principales , et l'Escalier vocal, les Mains musicales et l'Indicateur vocal, qui en sont les moyens d'enseignement, sont restés ce qu'ils étaient dans l'origine.

L'escalier vocal se présente à l'œil sous l'aspect d'un escalier double, à marches inégales, dont les hauteurs différentes indiquent la place des tons et des demi-tons dans les gammes diatoniques ascendantes et descendantes. C'est un mode d'enseignement de la nature de ces gammes par les yeux.

Les mains musicales, dessinées dans la forme des mains ordinaires, servent à représenter deux portées, l'une avec la clef de fa, l'autre avec la clef de sol, dont la réunion renferme une étendue de deux octaves et une note, au moyen de l'intervalle auquel appartient l'unisson des deux clefs. Les doigts représentent les lignes des portées. L'idée de l'emploi de la main pour le solfège n'était pas nouvelle, car elle appartient au XIe siècle ; mais l'application qu'en a faite B. Wilhem à la solmisation moderne est complètement différente de l'usage de la main musicale attribuée à Guido d'Arezzo. De même que pour les gammes diatoniques, B. Wilhem a un escalier vocal pour l'échelle chromatique, qui démontre l'égalité des demi-tons dans la pratique.

L'Indicateur vocal, à notes et à clefs mobiles, est une planche de bois couverte d'un papier imprimé ou tracé à l'encre de la Chine, qui représente une portée vide avec des trous pour recevoir des figures de clefs et de notes dont les positions peuvent varier suivant la volonté du maître qui fait la démonstration de l'emploi des clefs et de la transposition. Cet indicateur est une réalisation de la portée vide et sans clefs qui fut proposée pour la première fois en 1537 par Sébalde Heyden , puis longtemps après par Jacob, auteur d'une Méthode de musique sur un nouveau plan, et qui n'est en réalité que la reproduction de la Main musicale, que Rameau avait voulu faire revivre en 1760 dans son Code de musique. En cela l'Indicateur vocal, de B. Wilhem, a beaucoup d'analogie avec le Mèloplaste, de Galin, dont il sera parlé plus loin ; mais il a sur celui-ci l'avantage de laisser dans l'esprit des élèves des traces moins fugitives des démonstrations du maître.

A l'égard de l'ordre des études, B. Wilhem a adopté la division rationnelle en trois branches principales, qui concernent l'intonation des sons et la formation des gammes, la durée des sons et des silences avec leurs procédés de mesures et leur combinaison rythmique ; enfin la représentation de ces choses par des signes, c'est-à-dire la notation.

La réunion de tous les moyens dont il vient d'être parlé à un grand nombre d'exercices et de manœuvres dans l'intérieur d'une école d'enseignement mutuel, de divisions et de subdivisions des élèves, de classements divers d'après les facultés et les progrès, de passages alternatifs d'un objet à un autre, d'études de lecture, d'écriture musicale, de rythme, de chant individuel et collectif, compose toute la méthode de B. Wilhem; méthode qui, comme on voit, est éclectique, et qui convient parfaitement à l'enseignement populaire par ses démonstrations mécaniques applicables à des masses d'individus, et par son classement en divers degrés d'avancement, qui permet toujours de s'assurer de la capacité des élèves avant de les faire passer d'un ordre inférieur de connaissances à un ordre supérieur.
De légères erreurs dans le classement des mesures composées sont les seules qu'on puisse signaler dans l'exposé que B. Wilhem a fait de son système. Ainsi, en plaçant parmi les mesures qui contiennent moins d'une ronde, celles qui se chiffrent par 9/8 et par 12/8, il est évident qu'il s'est trompé ; car neuf-huitièmes et douze-huitièmes sont certainement des quantités plus élevées que huit-huitièmes, qui sont l'exacte valeur de la ronde. Il sera facile de faire disparaître cette distraction dans des éditions subséquentes.
La bonté, la fécondité de la méthode de B. Wilhem se démontrent par ses résultats, qui sont certainement ce qu'on pouvait désirer de plus satisfaisant. Partout où l'on voudra répandre dans le peuple les notions d'un art destiné à le rendre meilleur, à lui procurer de pures jouissances , et à dépouiller ses habitudes de ce qu'elles ont de grossier, cette méthode sera employée avec succès et fera bientôt reconnaître ses avantages. Le moment est favorable pour sa propagation, car de toutes parts on voit les autorités s'empresser d'accueillir dans leurs localités l'enseignement de la musique au nombre des éléments de l'éducation populaire.
Ajoutons que l'inventeur de cette méthode en a complété l'utilité par la création de son orphéon, de ce chœur majestueux où l'on a vu se réunir dans un ensemble parfait des milliers de voix du peuple chantant des morceaux de musique à trois ou quatre parties avec autant d'intelligence que de sentiment et de justesse d'intonation. Ces grandes masses vocales ont souvent excité l'admiration des artistes eux-mêmes dans les concerts publics où elles se sont fait entendre. Formés par la méthode que nous venons d'analyser, ces chanteurs en ont prouvé incontestablement l'excellence.

Parlons maintenant de la méthode du Méloplaste , inventée par Galin, ancien élève de l'École polytechnique, dont l'objet est une sorte d'enseignement collectif basé sur une réforme des éléments de l'art. Les moyens par lesquels l'auteur du Méloplaste s'est proposé d'opérer cette réforme, et dont il a composé son système, ne sont que la reproduction de choses proposées longtemps avant lui. C'est ainsi que sa pensée de représenter les sons de la gamme diatonique par les chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, en distinguant les octaves par un point placé au-dessus des chiffres pour l'octave supérieure, et au-dessous pour l'inférieure , et d'exprimer les intonations diésées par les chiffres barrés d'un trait incliné à droite, et les bémolisées par un trait incliné à gauche, est la reproduction exacte du système publié en 1677 par le P. Souhaitty, que nous avons exposé dans le chapitre précédent ; système modifié longtemps après par J.-J. Rousseau. Ainsi encore, la portée vide et sans clefs, proposée en 1537 par Sebulde Heyden, et plus de trois siècles après par Jacob, ainsi que la main musicale du Code de musique de Rameau, sont des choses analogues au Méloplaste pour la démonstration des gammes diatoniques et de l'échelle chromatique, ainsi que pour la conception de l'emploi des clefs et de la transposition. Dans le système du méloplaste, ce qu'il y a de plus original sont les idées de Galin concernant la mesure du temps en musique.
J.-J. Rousseau avoue dans ses Confessions que les objections de Rameau contre son système de la notation de la musique par les chiffres dissipèrent toutes ses illusions concernant ce système, et lui firent voir que le travail d'attention qui doit être fait par le lecteur pour une notation semblable a beaucoup plus d'inconvénients que la multiplicité des signes si divers de formes, de la notation ordinaire. Si les chiffres peuvent être employés avec quelque avantage, c'est pour noter des cantiques ou psaumes et des mélodies très simples , comme l'a conçu Natorp , conseiller du consistoire évangélique supérieur de la Prusse, pour l'usage des écoles primaires de l'Allemagne , où l'on sait que ces chants sont enseignés en même temps que les éléments de la lecture, de l'écriture et de l'arithmétique. Il ne s'agit pas dans ces écoles de former des éducations musicales , mais de réaliser une des nécessités de la religion réformée.
Si le système d'enseignement par le méloplaste n'avait pas de prétention plus élevée, on pourrait l'admettre sans difficulté; mais ce n'est pas à cela qu'il veut se borner, car il ne prétend pas à moins qu'à réformer l'art tout entier. De deux choses l'une :
  • ou il veut substituer son système de notation à celui qui est en usage, 
  • ou il ne veut en faire qu'un acheminement à la musique notée par le système ordinaire. 
Dans le premier cas, il est facile de démontrer que la notation par les chiffres serait impraticable pour la musique compliquée du piano, par exemple, où des accords complets des deux mains se présentent à chaque instant, ce qui obligerait à superposer des multitudes de ces chiffres sans points, pointés en dessus ou en dessous, barrés à droite et à gauche, et présentant des groupes tellement compliqués, qu'il faudrait s'arrêter longtemps sur chacun pour en distinguer tous les éléments, et que la lecture rapide deviendrait impossible.
Dans la seconde supposition, ce que les élèves auraient appris de la notation par chiffres serait destiné à être oublié par eux lorsqu'ils entreraient dans l'étude des instruments, et la notation usuelle, qu'ils devraient apprendre alors, deviendrait pour eux d'une difficulté d'autant plus grande, qu'ils se seraient plus accoutumés au système restreint de la notation employée dans l'enseignement par le méloplaste. C'est en effet ce qu'on a remarqué chez tous ceux qui ont essayé d'apprendre la musique par cette méthode ; non seulement ils ne savaient pas la musique véritable, mais ils étaient en quelque sorte devenus incapables de l'apprendre, parce qu'ils voulaient toujours mettre à la place des principes de cet art les notions d'autre espèce qui leur avaient été données primitivement. 
Le méloplaste peut conduire à lire dans son système de notation et à chanter des mélodies simples ; mais il ne peut faire des musiciens : il ne peut pas même servir d'introduction à la connaissance de la musique usuelle, dont il a pour but de réformer le système. C'est quelque chose à côté de l'art, ce n'est pas l'art lui-même.

Cet exposé fidèle de la nature des divers systèmes d'enseignement de la musique peut faire juger exactement de la valeur des attaques dont certaines écoles ont été l'objet, et de ce qu'il y avait de juste et de convenable dans les défis portés à ces écoles par les propagateurs du méloplaste.

Ces défis sont toujours faits sous de certaines conditions destinées à fausser le jugement que le public en pourrait porter. Ainsi les novateurs, dont les élèves ne peuvent lire la musique notée par la notation universellement connue, demandent qu'on leur fournisse à l'avance les morceaux destinés à l'essai, afin de les transcrire dans leur système de signes ; puis ils présentent aux vrais musiciens des combinaisons de signes de temps absurdes à déchiffrer, combinaisons qui n'existeront jamais dans la musique véritable , parce qu'on pourra toujours les réduire à une expression normale. Ceux qui portent ces défis se garderaient bien, par exemple, de faire écrire par des compositeurs célèbres des leçons spécialement destinées à l'essai, et qu'on placerait sur le pupitre immédiatement après qu'elles auraient été écrites, en prenant pour juges de bons musiciens qui suivraient de l'œil sur le papier l'exécution, afin de s'assurer de l'exactitude de la lecture.

En réalité, il n'y a point de concours possible entre ceux qui connaissent la notation universelle et ceux qui l'ignorent , et qui prétendent la remplacer par une notation de convention. Les défis qui ont été portés à ce sujet sont des non-sens, car il faudrait d'abord juger le procès de ces notations.


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