Témoignages à propos des goguettes: 1- Les Bergers de Syracuse
Annexe de l'article « Paris au temps de la goguette et du café-chantant. »
Témoignages à propos des goguettes
-1-
Les Bergers de Syracuse
par Louis-Auguste Berthaud (1810-1847)
extrait de "Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du dix-neuvième siècle",
tome 4, pages 317-318, Le goguettier, 1841
Témoignages à propos des goguettes
-1-
Les Bergers de Syracuse
par Louis-Auguste Berthaud (1810-1847)
extrait de "Les Français peints par eux-mêmes, encyclopédie morale du dix-neuvième siècle",
tome 4, pages 317-318, Le goguettier, 1841
Il y a environ deux ans que l'auteur de cet article fut introduit pour la première fois dans une goguette, aux Bergers de Syracuse. Il s'y trouvait, ce jour-là, une centaine de bergers et quinze à vingt bergères*. Pas un geste, pas un mot mal à propos ne s'y fit remarquer, et la soirée s'écoula aussi paisiblement que dans le monde le plus élégant. C'étaient pourtant des ouvriers, pauvres braves gens que l'ont dit si turbulents, si barbares encore. Ils avaient achevé leur pénible journée, et ils s'en étaient venus chanter à la goguette pour se reposer un peu. Ils buvaient en chantant, et l'ordre le plus riant régnait parmi eux. C'étaient des hommes en blouses, en vestes, aux mains dures, aux visages noircis par le travail et la sueur; c'était la richesse et la force de Paris, les bras qui construisent, pétrissent le pain, travaillent l'or et la soie, bâtissent les églises, et qui, un jour de soleil, renversent les croix et font des révolutions! Les bergères, comme on le pense bien, étaient aussi des ouvrières, laborieuses abeilles, se levant à l'aube du jour pour composer un miel qui ne leur appartiendra pas; c'étaient des femmes habillées d'indienne et coiffées de bonnet ou de madras à dix-neuf sous; pauvres femmes, jolies sans le savoir, bonnes et honnêtes par habitude; charmantes créatures prédestinées comme les fleurs des champs, et condamnées à naître et à mourir pour le plaisir du riche, dans les buissons; et tout cela, en vérité, ces hommes et ces femmes, avaient gardé entre eux, et malgré le vin et les chansons, une admirable réserve et une retenue vraiment décente!...
L'assemblée se sépara à onze heure et demie.
« Eh bien! Me demanda le berger Némorin, qui m'avait introduit, que pensez-vous de notre société?
- Je pense, lui dis-je, que c'est ici que l'on devrait étudier le peuple; on le connaîtrait mieux bientôt, et ceux qui ont peur de lui finiraient par l'aimer.
- Si vous voulez, ajouta Némorin, je vous conduirai samedi prochain chez les Infernaux.
- Volontiers.
- Il y a parmi eux, vous le verrez, des chansonniers et des poètes remarquables, et qui ne seraient point déplacés sur une scène plus haute. »
Nous convînmes d'un rendez-vous, le berger Némorin et moi, et après avoir bu un verre de vin sur le comptoir, et allumé nos cigares, nous nous quittâmes en nous disant:
« A samedi! »
* L'affilié de goguette ne possède pas d'autres droits que ceux du simple visiteur, seulement, lorsqu'on l'appelle pour chanter, on fait précéder son nom de celui de la goguette à laquelle il appartient, tandis que celui du visiteur est précédé du mot ami...Deux goguettes seulement, celles des Bergers de Syracuse et celle des Infernaux, imposent à leurs affiliés des noms en rapport avec le patronage sous lequel elles sont placées; les Bergers empruntent ces noms aux églogues et aux bucoliques, les Infernaux à l'enfer.(Une églogue est un poème de style classique consacré à un sujet pastoral.)
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