François-Joseph Fétis (deuxième partie)


Deuxième partie de la biographie de



Bibliographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, par F.J.Fétis, deuxième édition, Librairie de Firmin Didot Frères, Fils et Cie, Tome 3, 1869, pages 226-239.

 

Au mois de décembre 1813, Fétis accepta les fonctions d'organiste de la collégiale de Saint-Pierre à Douai, et de professeur de chant et d'harmonie d'une école municipale de musique, fondée en cette ville. Cette situation fut l'occasion de nouvelles études. Il avait eu autrefois de la réputation comme organiste, à la suite d'une lutte qui avait eu lien entre Woelfi, Nicolas Isouard et lui, sur l'orgue de l'église Saint-Sulpice de Paris; mais depuis plusieurs années il avait cessé de jouer de cet instrument. Celui sur lequel il était appelé à se faire entendre à Douai, était un excellent orgue de Dallery, composé de cinquante-six jeux, quatre claviers à la main et un clavier de pédales. Cet instrument lui offrait d'immenses ressources qu'il se mit à étudier, se faisant souvent enfermer dans l'église pendant six ou huit heures, pour se rendre familières les œuvres des grands organistes, anciens et modernes, de l'Italie et de l'Allemagne, et pour chercher, dans l'emploi alternatif des différents styles, une variété qui lui semblait manquer dans les productions des plus célèbres artistes; car chacun d'eux affectionnait de certaines formes qu'il a reproduites dans tous ses ouvrages. On verra le résultat de ses travaux dans son ouvrage intitulé la Science de l'organiste, dont une partie est gravée depuis longtemps, mais qui n'est pas encore terminée.

Les fonctions de professeur de chant et d'harmonie que Fétis remplissait à l'école de musique de Douai appelèrent son attention sur le système d'enseignement alors en usage dans toutes les écoles de ce genre. Il vit que les dégoûts éprouvés par la plupart des commençants dans la lecture de la musique, lecture dont les éléments sont difficiles et compliqués, provenaient de ce que l'attention se fatiguait à se partager dès les premiers pas sur des objets qui n'ont point d'analogie. Ainsi, dans l'étude du solfège, les élèves les moins avancés étaient obligés de reconnaitre à la fois les signes et leur valeur, de battre la mesure, en faisant le calcul de la division des temps, et de chanter en cherchant la justesse des intonations. Or, distinguer des signes, en connaitre la signification; diviser des temps et développer le sentiment de la mesure; enfin, former l'oreille à la justesse des intonations, sont toutes choses indépendantes Ies unes des autres; il est donc raisonnable de les enseigner séparément. C'est d'après ces considérations que Fétis établit dans l'école de Douai la division des études qui a servi de base aux Solfèges progressifs précédés de l'exposé des principes de musique publiés par lui plus tard, et c'est cette même division que plusieurs maîtres ont adoptée dans leur système d'enseignement.

C'est aussi pendant son séjour à Douai que Fétis compléta le système rationnel de l'harmonie ébauché par Rameau dans l'application du renversement à la génération des accords et dans la division de ces accords en fondamentaux et dérivés; étendu par Kirnberger dans la découverte de l'origine des accords produits par le mécanisme de la prolongation, enfin, perfectionné par Catel dans sa classification des accords en naturels et artificiels ou composés.

Malheureusement Catel, préoccupé de sa fausse idée de tous les accords directs ou fondamentaux contenus dans la division d'une corde, division arbitraire, comme il a été dit à l'article de cet artiste, avait été conduit à classer parmi les accords naturels ou simples ceux de septième de sensible, de septième diminuée, de neuvième majeure et de neuvième mineure de la dominante, quoique son instinct lui eût fait voir que ces accords se substituent souvent à celui de la dominante et de ses dérivés. Cette anomalie provenait de ce que Catel n'avait point aperçu le mécanisme de la substitution; Fétis découvrit que ce mécanisme n'est autre que le sixième degré du mode majeur ou mineur qui prend la place de la dominante dans les seize formes dont ces combinaisons sont susceptibles, et démontra que l'effet de ce genre de modification de l'accord naturel de septième dominante et de ses dérivés n'en change pas la destination, que l'emploi est identique, et qu'il en résulte seulement une variété d'effet pour l'oreille. La découverte importante de ce mécanisme de la substitution fut féconde en résultats, car elle conduisit à celle de l'origine des accords produits par la substitution du sixième degré de la gamme avec Ia prolongation de la tonique, et par là on eut l'explication simple et naturelle de la formation de ces accords de septième mineure du deuxième degré, de quinte et sixte, de tierce et quarte, et de seconde et quarte, des modes majeur et mineur, qui avaient donné la torture à tous les harmonistes, depuis Rameau.
Ce fut encore par la loi de l'identité de destination que l'auteur de cette découverte en démontra la réalité. Cette même loi lui fit trouver le mécanisme des altérations ascendantes et descendantes des intervalles des accords, et de leurs combinaisons avec les autres genres de modifications, telles que la prolongation et la substitution. En appliquant de la manière la plus générale ce principe nouveau de la combinaison des divers genres de modifications des accords naturels, Fétis fut conduit à la découverte d'une multitude d'accords nouveaux du genre appelé enharmonique, dont plusieurs ont été employés plus de quinze ans après par Rossini et par Meyerbeer, dans Guillaume Tell et dans Robert le Diable.


En 1816, l'ouvrage où Fétis avait exposé cette théorie nouvelle et complète de l'harmonie fut achevé, et l'auteur l'envoya à l'Institut de France, pour qu'il en fût fait un rapport; une correspondance assez active eut lieu à ce sujet entre le ministre de l'intérieur, le secrétaire de l'Académie des beaux-arts et Fétis, et le résultat de toute cette négociation fut que l'Académie, effrayée par tant de nouveautés, et ne voulant pas se compromettre en les approuvant ou en les rejetant, décida qu'au public seul appartenait de prononcer avec le temps sur leur mérite. Fétis accepta cette décision, et, en 1819, il fit commencer l'impression de son livre par H. Eberhardt. Déjà cinq feuilles étaient imprimées; mais à cette même époque, Catel, dont l'amitié parfaite pour Fétis ne s'est jamais démentie, lui rendait les services les plus importants, et lui faisait obtenir des poèmes pour l'Opéra et pour l'Opéra-Comique; la reconnaissance imposait à Fétis l'obligation de ne point affliger ce digne artiste, par une discussion de principes relative à l'un de ses travaux auxquels il mettait le plus de prix; il arrêta donc l'impression de son livre, resté inédit jusqu'en 1844, et dont cinq feuilles seulement ont été tirées. Cependant, sollicité en 1823, par un éditeur de musique, pour qu'il donnât une Méthode élémentaire d'harmonie et d'accompagnement, demandée de toutes parts, il satisfit à cette demande, mais d'une manière succincte, sous la forme dogmatique, et sans aucune discussion de théorie. L'ouvrage a été publié au mois de mars 1824; la simplicité et l'évidence de ses principes ont fait son succès; des milliers d'exemplaires en ont été vendus, et c'est à peu près le seul ouvrage par lequel les maîtres enseignent maintenant l'harmonie en France et en Belgique. Il en fut fait une traduction italienne, publiée à Naples, et une anglaise, par Bishop, à Londres.

Pendant son séjour à Douai, Fétis avait repris ses travaux relatifs à la Biographie des musiciens dont il publie aujourd'hui la seconde édition, et qui étaient commencées en 1806, ainsi que le prouve une note d'un discours prononcé le 8 octobre 1807 par Van Hulthem, dans une réunion d'artistes, et imprimé dans la même année chez Pierre Didot . Dans le même temps il écrivit aussi, sur la demande de l'autorité, un Requiem qui fut exécuté en expiation de la mort de Louis XVI, le 20 avril 1814, un sextuor pour piano à quatre mains, deux violons, alto et basse (œuvre 5e, Paris, Michel Ozy), dont la deuxième édition a été publiée chez Brandus, à Paris, en 1858, et beaucoup de morceaux de chant à trois et à quatre voix, pour l'école de Douai, outre une grande quantité de morceaux d'orgue. Tout cela fut fait dans l'espace de quatre ans et demi, nonobstant dix heures employées chaque jour aux fonctions d'organiste, à l'école de chant de la ville, et en leçons particulières; pour suffire à tant de travaux, Fétis avait pris, en arrivant à Douai, l'habitude d'y consacrer seize ou dix-huit heures chaque jour; depuis lors sa vie s'est écoulée dans la même activité, sans autre interruption que ses voyages.

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