Paris au temps de la goguette et du café-chantant.


Suite logique à la description des Sociétés du Caveau, nous vous proposons ce qui fut une manifestation populaire du plaisir de chanter ensemble :


Apparu au XIIe. siècle, le mot goguette viendrait de gogue, qui signifie : plaisanterie, raillerie, réjouissance, liesse, d'où le sens premier de : propos joyeux.
Par extension, les expressions comme chanter goguette, conter goguette, partir en goguette, être en goguette expriment la bonne humeur (être goguenard), parfois encouragée par les boissons ou les plaisirs charnels.
Son second sens, et c'est celui qui nous intéresse ici, qualifie la goguette de société chantante se produisant dans un lieu donné. A l'image des sociétés du Caveau, la goguette est une société chantante épicurienne. Et par analogie, la goguette désigne le lieu où une telle société se réunit, estaminet, café, arrière-salle chez un marchands de vin ...


Les goguettes se multiplièrent dès la chute du Premier Empire et ont prospéré jusqu'à la proclamation du Second. On y allait pour se réunir et chanter ensemble, on y mangeait éventuellement. En 1564 gogaille signifiait : ripaille.


Ces sociétés étaient avant tout populaires et issues de la liberté de parole acquise par le peuple de Paris lors la révolution .
L'emploi de la chanson sur timbre y était donc des plus fréquent.
On racontait à l'époque qu'il y avait une goguette dans chaque rue de Paris !
Parmi elles, notons la société des Amis des Arts, celle des Amis de la Chanson, celle des Amis de la Gloire, celle des Amis du Siècle, celle des Animaux, celle des Bergers de Syracuse, celle des Braillards, celle des Bons Enfants, celle de la Camaraderie, celle des Enfants de l'Avenir, celle des Enfants de la Goguette, celle des Enfants de la Halle, celle des Enfants de la Joie, celle des Enfants de la Lyre, celle des Enfants de Phebus, celle des Enfants du Vaudeville, celle des Épicuriens, celle des Gamins, celle du Gigot, celle des Grognards, celle des Infernaux, celle des Joyeux, celle de La Lice Chansonnière, celle des Lyriques, celle des Momusiens, celle des Palefreniers du cheval d'Apollon, celle des Poissons de l'Hippocrène, celle des Soirées de Famille, celle des vrais Français, ...

Des œuvres, souvent subversives, étaient chantées aussi bien par de simples amateurs que par des chanteurs plus confirmés. Pour chanter, il suffisait de donner son nom au bureau de la goguette.


On pouvait y croiser :
  • Hégésippe Moreau, poète
  • Jules Vinçard, chansonnier
  • Emile Debraux, dit le «Béranger de la classe ouvrière» s'y fit le chantre de la légende Napoléonienne
  • Charles Gille (1820-1856) qui fonda la goguette «La Ménagerie» et qui fut un auteur des plus fêtés de son époque pour la beauté de ses œuvres, perles de la goguette.

Foyer d'agitation sociale, berceau de la révolution de 1848, des doctrines collectivistes et de l'anarchie, les goguettes étaient dans le collimateur de la police.

Celle de Charles Gille fut fermée en 1847 et le chansonnier emprisonné pendant six mois.
Charles Gille n'était pas seul, les principaux auteurs de ces premières chansons sociales s'appelaient :
  • Louis Festeau, chansonnier socialiste de la nuance phalanstérienne
  • Eugène Pottier (1816-1887), auteur des paroles de «L'internationale»
  • Jean-Baptiste Clément (1836-1903), auteur du «Temps des cerises» et de «La Semaine sanglante»
  • Pierre Dupont (1821-1870), auteur de «Le chant des paysans» en 1849, qui lui valut l'exil


Leurs chansons avaient un rôle d'information et de mobilisation auprès de la classe ouvrière naissante, le prolétariat, à majorité illettrée à l'époque.

La propagation de ces chansons par le colportage et le compagnonnage permettait de véhiculer les idées politiques à la ville comme à la campagne.


En 1852, Napoléon III parvint à fermer la plupart des goguettes.

«La Lice Chansonnière» parvint à subsister en modérant sa combativité.

De nos jours, «Le Limonaire» perpétue la tradition avec une goguette moderne.


Les cafés-chantants


Alors que les goguettes véhiculaient un message politique, en changeant parfois de lieu, d'une façon générale, un estaminet où se produisaient des chanteurs (amateurs ou professionnels) fut appelé café-chantant. On peut noter parmi eux:
  • le café des Muses (quai Voltaire)
  • le café des Ambassadeurs (sur les Champs Élysée, nommé ainsi car la buvette qui le précédait était le rendez-vous des clients de l'hôtel Crillon tout proche). C'est au café des Ambassadeur qu'a eu lieu l'incident qui allait donner naissance à la SACEM.
  • le caveau des Aveugles (sous le Directoire)
  • le café Apollon (boulevard du Temple)
  • le café du Cadran
  • le café du Château-d'eau
  • le café de l'Épi-scié
  • l'Estaminet Lyrique (passage Jouffroy), marqué par les début en 1848 de Joseph Darcier, compositeur et interprète de talent, fort connu de son temps.
  • le café de France
  • le café de la Poste
  • le café du Saumon...

En 1849, le café des Ambassadeurs est reconstruit avec une salle de concert pour devenir le Concert des Ambassadeurs.
En 1852, on pouvait recenser une douzaine de cafés-chantants dans Paris où se produisaient aussi bien des chanteurs lyriques que des chanteurs comiques.

Sous le Second Empire, à l'instar du Concert des Ambassadeurs, on vit les cafés-chantants se muer en cafés-concerts, dotés de grandes salles permettant de donner des spectacles plus variés. Ce fut l'apogée de ce style d'établissement avant de les nommer Music-hall.

Au XIXe siècle, le chant se manifestait dans les salons des classes aristocratiques et bourgeoises.
C'était aussi l'époque où les romances prirent un nouvel essor (à suivre)

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